La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Guerre civile
| 01 Oct 2016

“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

barricadeCe soir, Victor Hugo est de sortie. Petit nuage dodu de cendres, vapeur de défunt, brume de génie, il s’est glissé hors de son caveau pour aller voleter dans l’air humide de la crypte du Panthéon à la recherche d’un camarade à qui parler. Passant devant le cercueil de pierre où sont allongés les restes de Jean Jaurès, le poète entend ce dernier l’interpeller :

Jaurès : Salut mon vieux Victor. Nom de Dieu, as-tu lu l’interview d’Alain Juppé dans le Monde il y a quelques jours ?

Hugo : Bonsoir, Jean. Non, je ne l’ai pas lue, je ne reçois plus la presse. On parlait de moi ?

Jaurès : Non, ils parlaient de guerre civile. Très exactement, Alain Juppé a déclaré au journal : ‘Si nous continuons comme ça, nous allons vers la guerre civile’. Ça a l’air de s’envenimer rudement dehors.

Hugo :  Quoi ? Les utopistes se réveillent ? Ce serait une bonne nouvelle, mon petit Jean. Il m’est impossible de ne pas admirer, qu’ils réussissent ou non, les glorieux combattants de l’avenir, les confesseurs de l’utopie. Même quand ils avortent, ils sont vénérables, et c’est peut-être dans l’insuccès qu’ils ont plus de majesté. La victoire, quand elle est selon le progrès, mérite l’applaudissement des peuples ; mais une défaite héroïque mérite leur attendrissement. L’une est magnifique, l’autre est sublime. On accuse les révolutionnaires de semer l’effroi. Toute barricade semble attentat. On leur reproche d’élever, d’échafauder et d’entasser contre le fait social régnant un monceau de misères, de douleurs, d’iniquités, de griefs, de désespoirs, et d’arracher des bas-fonds des blocs de ténèbres pour s’y créneler et y combattre. On leur crie : vous dépavez l’enfer. Ils pourraient répondre : c’est pour cela que notre barricade est faite de bonnes intentions. (in Les Misérables)

Jaurès : Tu t’emballes, Victor. Non, il ne s’agit pas du tout de cela. Juppé s’inquiète de ce que “certains commentateurs”, comme il dit, estiment qu’il faudrait interdire les prénoms qui n’ont pas une consonance gauloise. Il y aurait trop de Mohamed et de Fatima qui naissent en France. Bref, ce sont les débats autour de l’Islam qui ont l’air de s’enflammer, pas les utopies. En tout cas, au bout de ces débats-là, Juppé voit pointer la guerre civile.

Hugo : On en est encore là ? Dans les guerres de religion ? Je vais me recoucher …

Jaurès : Non, attends ! C’est tout de même un débat intéressant. Et qui devrait t’intéresser ; des rumeurs n’ont-elles pas prétendu récemment que toi-même tu t’étais converti à l’Islam avant de mourir ?

Hugo : C’est bien ce que je disais, je vais aller me recoucher de ce pas.

Jaurès : Il y a toute une élite qui dit : l’Islam ne se sauvera qu’en se renouvelant, qu’en interprétant son vieux livre religieux selon un esprit nouveau de liberté, de fraternité, de paix. Et c’est à l’heure où ce mouvement se dessine que nous fournissons aux fanatiques de l’Islam l’occasion de dire : comment serait-il possible de se réconcilier avec cette Europe brutale ? Avec cette France, qui se dit de justice et de liberté, mais qui n’a contre nous d’autres gestes que les canons et les fusils ?
 Si les violences auxquelles se livre l’Europe en Afrique (Jaurès évoque ici les guerres coloniales) achèvent d’exaspérer la fibre blessée des musulmans, si l’Islam un jour répond par un fanatisme farouche et une vaste révolte à l’universelle agression, qui pourra s’étonner ? Qui aura le droit de s’indigner ? (discours à la Chambre des députés)

Hugo : Bon d’accord, vu sous cet angle … Laisse-moi réfléchir un peu (quatre secondes s’écoulent). Tiens, essayons ça :

Le divin Mahomet enfourchait tour à tour
Son mulet Daïdol et son âne Yafour ;
Car le sage lui-même a, selon l’occurrence,
Son jour d’entêtement et son jour d’ignorance.
(La Légende des siècles)

Édouard Launet
2017, Année terrible

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