La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

| 05 Nov 2016

“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

Marre de cette ambiance funèbre, de ces compagnons endormis, de ces couloirs humides, d’autant qu’il commence à faire vraiment froid en ce début novembre. L’esprit de Victor Hugo s’extrait de la crypte, puis du Panthéon. Il descend la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève en quête de quelque estaminet d’où il pourrait suivre, à la télé, le deuxième débat de la primaire de la droite. Mais il pleut. C’est pas de chance, grogne le poète, ma poussière va se transformer en une infâme bouillasse qui finira dans les égouts. Alors tant pis pour la droite : Hugo choisit d’entrer dans le premier cybercafé venu (il en reste) pour regarder ce qui se fait de neuf sur Youtube. Il tombe, mais vraiment par hasard, sur Jean-Luc Mélenchon en train de prononcer à Lille son discours de clôture lors de la convention de son mouvement la France Insoumise. Le poète se dit d’abord que c’est moins ennuyeux que le débat des primaires, cela peut même être drôle par moments. Mais, au bout d’une heure et demie, il commence à s’emmerder ferme.

autocollantfranceinsoumisenew_a6v3-vec-1Soudain Hugo entend Mélenchon le citer : Aujourd’hui, pour toute la terre, la France s’appelle Révolution ; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie.” Tiens, songe Victor, je ne m’attendais pas à ce que le XXIe siècle aille puiser dans mon William Shakespeare de quoi nourrir le débat politique, il s’agit quand même de mon livre le moins lisible. Et que vient faire l’harmonie là-dedans ? Mélenchon s’explique illico : “Harmonie, c’est le sens de notre nouveau symbole (derrière l’orateur, la lettre phi s’affiche sur un grand écran). Il faut que quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire puisse le reconnaître tout de suite.” Phi, alias FI, alias France Insoumise. Bien, mais Hugo ne voit toujours pas le rapport. Jean-Luc lui répond derechef : “Phi, c’est l’harmonie, le chiffre du nombre d’or, de la philosophie, de l’amour de la sagesse. L’harmonie, comme on le dit d’une musique qui, à travers plusieurs notes, est un discours.”

Et subitement Hugo comprend : philharmonie ! Mélenchon est en train de monter un orchestre ! D’ailleurs, moins de deux minutes plus tard, toute la convention se lève pour entonner la Marseillaise. Pas très philharmonique mais stimulant. Devant l’écran de l’ordinateur crasseux sur lequel il regarde cette convention d’esthètes, le poète lui-même se met à chanter, très faux :

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre

Et la poussière d’Hugo s’en retourne au Panthéon, rassérénée, fière même. Et moins seule aussi.

Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poèmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, l’oisiveté en utilité, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution !

Édouard Launet
2017, Année terrible

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

J’ai rêvé qu’Emmanuel Macron arrivait à l’Élysée armé d’un balai radioactif

Jorge Luis Borges aimait à commencer ses discours en citant un philosophe ou un poète. « Mesdames, Messieurs, Démocrite d’Abdère a écrit que… » C’est une fort jolie façon de commencer, que je vais faire mienne. Mesdames, Messieurs, Zinedine Zidane a déclaré, avant le match Real Madrid-Las Palmas, qu’il invitait les Français à voter contre le Front national. Ces paroles, qui parvinrent tel un faisceau lumineux aux médias français, auront un écho ; nombreux sont les citoyens abusés par les idées de l’extrême droite qui changeront d’opinion et suivront l’avis de leur idole. Vous pouvez vous moquer, c’est pourtant ce qui va arriver, et je me réjouis que la célébrité puisse servir à ça. Aux antipodes, il y a nous, les artistes, ignorés des partisans de Marine Le Pen et de tant d’autres. (Lire l’article)

Un dernier pour la route

Voilà, c’est fini. Il était temps, elle n’était plus très drôle, cette campagne. Victor Hugo époussette le couvercle de son caveau, puis, en ahanant, le fait glisser de quelques dizaines de centimètres afin de s’introduire dans le cercueil de pierre et s’y allonger de nouveau. Il ferme les yeux et exhale un puissant soupir de lassitude qui, s’échappant dans les couloirs de la crypte du Panthéon, fait claquer les portes. (Lire l’article)

J34 – L’opium du peuple

Devant son écran, le supporteur hésite. Soirée électorale ou Lyon-Monaco ? Voire, le clásico Madrid-Barcelone ? Il se sent coupable, la voix de la raison martèle ses arguments. À la différence des précédents, le scrutin est serré, quatre candidats pourraient passer au second tour. D’accord, mais après quatre saisons dominées par le Paris Saint-Germain, la Ligue 1 offre enfin un peu de suspense… Dilemme. Alors, le supporteur décide de zapper d’une chaîne à l’autre, un peu honteux. Le football est l’opium du peuple, et il se sait dépendant… (Lire l’article)

Redresseur de torts ?

Comment savoir a priori qu’un échantillon est représentatif ? Et d‘ailleurs, que recouvre cette notion ? Nous savons tous ce qu’en est l’opposé, à savoir un échantillon biaisé. Si vous faites un sondage d’opinion sur l’adoption homoparentale à la sortie de la messe de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, une étude épidémiologique sur le tabac dans la file d’attente du buraliste de la Place de Clichy ou une enquête de popularité pour Mélenchon dans les tribunes de l’hippodrome de Saint-Cloud, il y a fort à parier que vous obtiendrez des chiffres pour le moins faisandés… (Lire l’article)

Courrier d’un lecteur

Victor Hugo nous écrit : “Les périodes électorales sont les pires moments pour se mettre à espérer (dites-vous bien que, même dans l’éventualité où votre candidat préféré serait élu, vous finiriez à coup sûr par être déçus), et ce ne sont pas les meilleurs pour commencer à paniquer (il eût fallu s’y prendre plus tôt). Ce ne sont finalement que des moments de transes, qu’il faut traverser avec philosophie.” (Lire la lettre)