La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 13 Fév 2018

Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique : chaque semaine, Edouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.

Un carnet de Landru

Henri Désiré Landru fut un grand séducteur, un petit escroc et un auteur pas inintéressant. Cette dernière qualité reste méconnue. Il suffit pourtant de se pencher sur les carnets du tueur en série — conservés aux archives de la Préfecture de police de Paris et bizarrement peu consultés — pour s’apercevoir que cet homme avait un étonnant sens de l’humour servi par une belle plume. Dans le petit carnet noir où Landru a consigné les noms des 283 femmes qu’il a séduites durant sa « carrière » (il sera guillotiné en 1922 pour le meurtre de onze d’entre elles), on trouve quelques lignes charmantes sur les attraits de telle ou telle.

De Léontine L., il écrit : « Poils pubiens très noirs, drus et en abondance. Petite toison au niveau de l’anus. Aisselles comme des bois. Une telle quantité de poils suffirait presque à faire démarrer la cuisinière. Mais pas tout de suite : ces broussailles permettent dans l’immédiat d’assouvir d’autres besoins que ceux de la combustion. Léontine me sourit bêtement quand je l’appelle “mon petit foin”. Si elle savait, la pauvre (enfin, pas si pauvre que ça : il y a une somme rondelette sur son compte). »

Sur Joséphine B. : « Cette paire de fesses mériterait d’entrer en Panthéon. À ce grand cul, la Patrie reconnaissante ! À ce beau postérieur, la France à genoux ! Jamais viande et graisse n’ont sculpté un tel Aventin. Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine, plus mon Loire gaulois que le Tibre latin, plus mon petit Liré que le mont Palatin, et plus que la chaleur du poêle la douceur Joséphine. Elle adore que je la fesse, j’aime quand ça chauffe : nous sommes faits pour nous entendre. Mais pour combien de temps ? Fesses au balcon, Pâques au tison, lui ai-je dit. Ca n’a pas eu l’air de l’affoler. »

Des perquisitions menées aux divers domiciles de Landru ont conduit à la découverte de débris humains dans des tas de cendres, notamment à l’intérieurd’une cuisinière. Lors de l’enquête, on fit brûler dans ce poêle une tête de mouton et un gigot de sept livres : il fut constaté que le tirage était excellent et que la graisse de la viande assurait une parfaite combustion.

En novembre 1921, le procès du premier tueur en série français fut un véritable événement auquel assistèrent entre autres Colette, Raimu et Mistinguett. L’ambiance était celle d’une salle de spectacle, on frappait du pied pour faire venir le jury qui tardait, on voulait que la représentation commence. Il est vrai que Landru avait un joli sens de la répartie. À l’avocat général qui lui lance : « C’est votre tête qui est en jeu », Landru rétorque : « Oui c’est ma tête ! et je regrette infiniment de n’en avoir qu’une à vous offrir. » On s’amuse tant lors des audiences que le président doit faire ce rappel à l’ordre : « Si les rires continuent, je vais demander à chacun de rentrer chez soi. » Et Landru de grincer : « Pour mon compte, Monsieur le président, ce ne serait pas de refus. »

À l’humour, Landru ajoutait l’imagination du romancier. Tout au long de sa carrière d’escroc, il s’est présenté à ses victimes sous plus de quatre-vingt-dix pseudonymes différents ; les femmes qu’il séduisit le connurent sous le nom de Diard, de Cuchet, de Frémyet, de Petit, de Forest, de Barzieux, de Guillet, et l’on en passe. Ces perpétuels changements d’identité le contraignirent à jongler avec des vies fictives et de fausses pièces d’état civil : ainsi commence toute carrière d’écrivain.

Il est dommage que l’homme n’ait pas écrit plus, quels jolis livres il aurait pu laisser. Mais l’époque n’était pas prête pour ce genre de hard fiction. Il a fallu attendre Issei Sagawa pour qu’un assassin fasse enfin entendre sa petite musique jusque dans les librairies. Celui qu’on a surnommé « le Japonais cannibale » s’est rendu célèbre d’abord en tuant et mangeant (en partie) une étudiante néerlandaise à Paris en juin 1981, puis en rédigeant une douzaine de livres tournant autour de son repas macabre. L’un d’eux a pour titre : Ceux que j’ai envie de tuer. Le Japonais cannibale cultivait un humour assez landrusien qui lui fit dire un jour au juge Bruguière, qui instruisait alors l’affaire : « Est-ce que vous ne dites pas, en France, qu’une femme est à croquer ? » (lors de son procès, Landru avait eu une saillie du même tonneau, déclarant au juge : « Si les femmes que j’ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à déposer plainte ! »). Issei Sagawa a par ailleurs joué dans des films érotiques et fait de la publicité pour une chaîne de restaurants de viande.

Si la guillotine ne l’avait violemment raccourci, Henri Désiré Landru aurait pu proposer un Au fourneau avec Landru pour le rayon Cuisine, ou, pour le rayon Littérature, un Celles qui ont eu chaud consacré aux femmes qu’il n’a pas eu le temps d’enfourner dans sa cuisinière. Sa face barbue sur des affiches pour les poêles Godin aurait conféré à la marque une notoriété supplémentaire, son apparition dans des films gore aurait autant ému les spectateurs que ses camarades actrices. Mais, la preuve en est faite, c’est tout de même dans la littérature érotique qu’il aurait eu le plus d’avenir.

Édouard Launet
Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique

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