La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Alexandre Roccoli, de fil en fil
| 23 Jan 2018

Sous ses allures de chien fou, Alexandre Roccoli poursuit des objectifs très précis et ne lâche jamais l’affaire. Au croisement de plusieurs disciplines artistiques, théâtre, danse, musique et mode, le chorégraphe enquêteur développe depuis 2010 une recherche plastique sur des gestes artisanaux anciens, déjà perdus ou résistant encore à l’oubli. Il s’est intéressé ainsi au monde tisserand, recueillant des témoignages de ceux et celles qui perpétuent cette mémoire ouvrière au Maroc, en Italie et à Lyon chez les canuts et, à partir des matières recueillies, il a tout d’abord proposé une installation multimedia avant de construire un spectacle, Weaver Quintet, coproduit par l’association des Centres de développement chorégraphique. Il ne s’agit nullement d’une coquetterie ou d’une lubie mais d’une démarche profondément intime et politique. Né à Montceau-les-Mines d’un père mineur de fond, il ne cesse de mettre à la lumière les oubliés, travaillant également dans le milieu psychiatrique ou carcéral. « Le milieu minier, dit-il, est un lieu de danger et d’oppression : l’air souterrain est comprimé, les corons “parquent” les ouvriers… Cette conscience du corps assujetti au travail répétitif, à l’effort constant, à la pénibilité, est tout à fait centrale dans mon travail. »

Weaver Quintet / Alexandre Roccoli © Romain Etienne / item

Le Weaver Quintet présenté récemment dans Le Moi de la Danse aux Subsistances de Lyon, où Alexandre Roccoli a bénéficié d’une résidence et d’une production pour l’année 2016-2017, est tout autant une toile d’araignée qui emprisonne qu’une libération des corps par la transe. La danse y crochète en de gracieux pas ou y martèle puissamment. Les trois danseuses y mènent un rituel collectif d’où s’échappent des folies individuelles. Dans une atmosphère sombre, elles sont autant de sorcières rescapées de la chasse que des veuves noires, des furies, chevelures lâchées. De fil en fil pour construire son ouvrage, le chorégraphe a mêlé le tarentisme, maladie sous forme de léthargie apparue entre le 15e et le 17e siècle dans la région des Pouilles en Italie, et son « remède », la tarentelle, danses et chant qui secouaient le malade pour le réveiller. La guérison est également un des thèmes de ce spectacle qui tisse la danse avec la musique (de la Tunisienne Deena Abdelwahed et de Benoist Bouvot), qui réinvente, recombine les sons et rythmes des métiers à tisser. Les musiciens présents sur scène participent pleinement à la cérémonie libératrice.

La tarentule a piqué et endormi ses sujets, la danse les secoue sans ménagement, remettant sur le métier des gestes ancestraux.

Marie-Christine Vernay
Danse

Le Moi de la Danse, aux Subsistances de Lyon, 04 78 39 10 02, jusqu’au 3 février, avec notamment Christian Rizzo et Thomas Lebrun.

Weaver Quintet, en tournée dans les Centres de développement chorégraphique, prochaine date le 25 janvier au CDC de Toulouse.

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