La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Allemagne-Irlande du Nord : dribbler à perdre la raison
par Lorelei 
| 23 Juin 2016

Muller über alles

Oh Toi ! le prolétaire intact, gladiateur moderne
Qui remontes l’arène et évite le tacle
Si Tu savais comment des tribunes mon cœur
Palpite et tend vers Toi des ondes de bonheur.

Si Tu savais mes rêves quand je me fais ballon
Entre tes pieds, docile, sur ta cuisse d’Apollon
Mais Tu ne me vois pas qui grelotte d’espoir
Et jamais Tu ne lèves le regard de Ton match.

Thomas, Ô Toi si beau, Ton regard sur l’azur
Qu’as-tu fait d’Emmanuel et de la raison pure
Qu’as-tu fait d’Hölderlin et de Schopenhauer
Quand Tu rates le cadre d’un plat de pied rageur ?

Toi la plaie des défenses qui Te roules par terre
Toi le splendide accord d’une messe de Bach
Jalouse, je le suis, de tous Tes amis moches
Qui ne voient dans Tes courses qu’un ailier qui décroche.

Ah, je souffre, j’ai froid, à Te voir déchaîné
Cent fois sur le but, Te remettre à l’ouvrage
Aider les Irlandais, véritable naufrage,
En tirant dans les choux, plutôt que de planter.

Toi, Mein Gott Liebe, Toi l’espoir d’un peuple
Sous mes larmes qui ne cessent, je vais finir trempée
Mon héros, mon buteur, mon soleil de nacre
Mon lévrier mutant, Kaiser de la Mannschaft
De rage mon écharpe je jette sur la touche
Lacère mon maillot qui craque dans un souffle.

Alors, médusée, l’Irlande, cesse de jouer
80 000 bobs verts, me découvrent toute fière
Walkyrie sans frontières, ventre blanc, seins offerts,
À moi seule, sans Luther, je triomphe de l’Ulster.

Cathédrale mondiale, plus un souffle sur le Parc
L’Unique court encore, aveugle, hors d’haleine,
Qui s’applique, à dribbler, en manque d’oxygène,
Contourne la charnière, pénètre le sanctuaire,
Arme une frappe d’airain à coucher un gangster
Et sent venir en Lui, le trèfle piétiné,
L’inavouable vague du plaisir de marquer.

Las ! mon Thomelei, Toi mon bel hippocampe
Tu achèves Ta course victime de la crampe
Et glisses dans ma main pour enfin le comprendre :
La femme, sur terre, est l’avenir du foot.

Lorelei, perdue, trop loin de son rocher

Le papier, support de ce texte, a été retrouvé froissé, sur un banc solitaire, non loin du Parc des Princes. Il a été déposé par les services de la voirie au bureau des objets littéraires perdus de la ville de Paris.

 

0 commentaires

Dans la même catégorie

Drone de drame (ou presque)

L’arbitrage du Mondial devait être assisté par des drones qui, grâce à un ingénieux système que nous ne détaillerons pas ici (trop technique pour nos lectrices), suivraient au plus près tous les déplacements des ballons. D’autres suivraient les joueurs qui profiteraient d’être loin du cœur de l’action pour préparer un mauvais coup.

Ailleurs l’herbe est plus jaune

Depuis quelques mois, on ne parle que des à-côtés du mondial du Qatar. Pots-de-vin, esclavage, chantiers mortels, catastrophe écologique à tous les étages  et diverses autres broutilles collatérales que nous passerons sous silence. Bizarrement, on a peu souligné le fait que tous les matchs se joueront… sur du sable.

J38 – Ecce homo

En cette dernière journée de la saison, une question demeure : pourquoi une telle popularité du football ? Parce que le supporteur s’y reconnaît mieux que dans n’importe quel autre sport. Assurément, le football est le sport le plus humain. Trop humain. Le football est un miroir où le supporteur contemple son propre portrait. Le spectateur se regarde lui-même. Pas comme Méduse qui se pétrifie elle-même à la vue de son reflet dans le bouclier que lui tend Persée. Au contraire, c’est Narcisse tombé amoureux de son propre visage à la surface de l’eau. (Lire l’article)

J35 – Le bien et le mal

Ses détracteurs comparent souvent le football à une religion. Le terme est péjoratif pour les athées, les croyants moquent une telle prétention, et pourtant certains supporteurs revendiquent la métaphore. Le ballon leur est une divinité aux rebonds impénétrables et le stade une cathédrale où ils communient en reprenant en chœur des alléluias profanes. Selon une enquête réalisée en 2104 aux États-Unis, les amateurs de sport sont plus croyants que le reste de la population. Les liens entre sport et religion sont nombreux : superstition, déification des sportifs, sens du sacré, communautarisme, pratique de la foi… Mais surtout, football et religion ont en commun de dépeindre un monde manichéen. (Lire l’article)

J34 – L’opium du peuple

Devant son écran, le supporteur hésite. Soirée électorale ou Lyon-Monaco ? Voire, le clásico Madrid-Barcelone ? Il se sent coupable, la voix de la raison martèle ses arguments. À la différence des précédents, le scrutin est serré, quatre candidats pourraient passer au second tour. D’accord, mais après quatre saisons dominées par le Paris Saint-Germain, la Ligue 1 offre enfin un peu de suspense… Dilemme. Alors, le supporteur décide de zapper d’une chaîne à l’autre, un peu honteux. Le football est l’opium du peuple, et il se sait dépendant… (Lire l’article)