La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Engagez-vous, rengagez-vous…
| 19 Juil 2017

Les Pieds Nickelés s’en vont en guerre © Forton – Vuibert

« Engagez-vous, rengagez-vous, ils disaient… Vous verrez du pays, ils disaient… »  ; la formule culte du légionnaire romain massacré par les irréductibles Gaulois a parfois éclipsé son origine, Goscinny ayant puisé son inspiration dans les affiches gouvernementales des années 30-40, qui avaient pour slogan : « Engagez-vous, rengagez-vous dans les troupes coloniales » [1]. L’ironie ne doit cependant pas faire oublier que, dès le début du XXe siècle, la BD a été amenée à s’engager dans l’ambiance guerrière de son temps, conduisant les auteurs à faire participer leurs personnages à l’aventure militaire de leur pays, doublant parfois par ses récits le « bourrage de crâne » de la propagande, tout en se permettant certaines variations subtiles. Croquignol, Ribouldingue et Filochard, les trois plus célèbres aigrefins de la BD française, créés en 1908 par Louis Forton, vont ainsi se retrouver mobilisés, troquant leurs victimes habituelles — les bourgeois ou « gogos » — contre de nouvelles, les troupes allemandes, une « bande de froussard et de fourneaux » qui ont des « cervelles en mie de pain K.K. »  [2]. Bien qu’il soit antimilitariste et que ses héros aient une identité politique multiple (Croquignol est royaliste, Ribouldingue socialiste et Filochard radical-socialiste), le dessinateur Forton devient le fer de lance de l’esprit patriotique qui souffle sur L’Épatant, dans lequel paraissent les aventures des trois loustics. En effet, les frères Offenstadt, ses éditeurs, sont contraints à redoubler de zèle pour laver les accusations d’espionnage ou de démoralisation qui pèsent sur eux, car ce sont des juifs d’origine allemande… Suspects, forcément suspects… Néanmoins, Les Pieds Nickelés s’en vont en guerre est loin d’être un simple outil au service de la propagande, car il véhicule aussi une autre réalité, celle d’un esprit anarchiste propre au début de ce siècle, cherchant à se rire des contraintes morales et des codes de la bourgeoisie bien-pensante. L’argot présent dans les textes est en effet celui des « apaches », les petits gangsters parisiens de l’époque, et c’est avant tout leur caractère de margoulins, capables de tirer intelligemment avantage de toutes les situations, même les plus tragiques, qui anime l’esprit des personnages de Forton. Son œuvre est de fait plus une ode à la gloire des escrocs débrouillards — et du « système D » — qu’une apologie des bons français patriotes… Les trois compères perdront beaucoup de leur gouaille après 1934, même si, de 1948 à 1981, Pellos — assisté au scénario de Roland de Montaubert, un juge de paix ! — a su leur redonner quelque vigueur…

Les Pieds Nickelés ne pouvaient cependant faire moins que s’engager car leur éternelle rivale, Bécassine [3], premier grand personnage de BD féminin, ne manque pas de prendre elle aussi part à la Grande Guerre, au travers d’aventures comme Bécassine pendant la guerre (1916). Les « boches de la Bochie », pays qu’elle ne parvient pas à trouver sur les cartes, y sont présentés à la manière de la propagande de l’époque, où l’on fait craindre les pillages de ces « sauvages » qui sont également des « ivrognes », mus par la cupidité autant que par la stupidité. Néanmoins, ce ne sont pas les horreurs de la guerre – inexistantes aussi chez les Pieds Nickelés — qui sont présentées au jeune public, mais plutôt la vie à l’arrière, où le front n’est évoqué qu’au travers des lettres que Bécassine reçoit de Zidore, ou des quelques soldats qu’elle peut rencontrer dans son périple qui la mène jusqu’en Alsace. Par un effet de second degré, et malgré leur propos ouvertement patriotique, les aventures de Bécassine invitent cependant ses lectrices à une prise de distance avec les outrances de la propagande car, si chacun comprend aisément que la domestique bretonne est une caricature irréelle, la peinture exagérée des « boches » se manifeste aussi comme telle dans ce contexte. Les histoires permettent également de mettre en évidence la place prise par les femmes dans la société française alors que les hommes sont au front, ainsi que l’appauvrissement que vivent les classes bourgeoises de rentiers à l’époque. Dans Bécassine mobilisée (1918), la maîtresse de Bécassine, Madame la marquise de Grand-Air, connaît des difficultés financières qui l’obligent à congédier sa servante, qui va devoir travailler dans des emplois traditionnellement masculins, comme receveur de tramway.

Bécassine pendant la guerre © Pinchon et Caumery – Gautier Languereau

S’il s’agit là d’une acception proprement militaire, l’idée d’engagement en un sens plus général porte en elle celles de liberté, de volonté et de réflexion, manifestes dans la définition qu’en donne Sartre : « un écrivain est engagé lorsqu’il tâche à prendre la conscience la plus lucide et la plus entière d’être embarqué, c’est-à-dire lorsqu’il fait passer pour lui et pour les autres l’engagement de la spontanéité immédiate au réfléchi. » [4] Il faut alors différencier l’engagement en tant que tel, qui suppose une activité réfléchie, du simple embarquement, faisant que chaque individu se trouve inséré — et donc, en un sens faible, engagé — dans une situation qui le dépasse, mais dont il ne peut s’extraire, puisqu’elle relève de sa condition, faisant que l’homme est « condamné à être libre » [5]. Si l’individu n’est pas à l’origine de cette situation, il en est néanmoins d’une certaine manière responsable, dans la mesure où il l’accepte comme cadre de son action et de ce fait la prolonge, la perpétue ou l’accroît, en s’y pliant. La Boétie déjà dénonçait au XVIe siècle cette « servitude volontaire », conduisant les hommes à se soumettre en autorisant le tyran à nier leur liberté, alors qu’ils pourraient la retrouver, non en se rebellant, mais simplement en cessant d’obéir. Cependant, si la chose est facile à énoncer ou à dénoncer, elle est en réalité bien plus ardue à réaliser effectivement, l’ami de Montaigne notant que ce n’est pas par couardise que les individus acceptent la situation : c’est par coutume, par habitude, car « les hommes sont tels que la nourriture les fait » [6]. En d’autres termes, notre engagement — véritable, bien que passif — dans nos habitudes, mentales ou comportementales, est invisible parce qu’il nous semble « normal », rendant de ce fait difficile la contestation, qui suppose de parvenir à s’extraire des schémas psychologiques par lesquels nous nous sommes construits.

La période coloniale nous donne à ce titre un bon exemple de la complexité de la situation d’engagement, conduisant à des débats qui n’ont pas lieu d’être, comme la question de savoir si Hergé, le père de Tintin, était raciste. Suite aux polémiques de l’après-guerre, l’album Tintin au Congo de 1946 ne sera réédité qu’en 1970, parce qu’il était accusé de véhiculer des schémas racistes, plus sensibles encore dans la version de 1931. Comme le dit Hergé lui-même, « j’étais nourri des préjugés du milieu dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : “Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !”, etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique. » [7] « Nourri », comme le disait La Boétie, par un ensemble d’habitudes de pensée, Hergé était ainsi moins un raciste qu’un Belge des années 30, qui considérait normal que Tintin fasse par exemple un cours à de petits Africains sur « votre patrie : la Belgique », qui deviendra dans la version de 1946 un cours de mathématiques, plus universel. Entre-temps, le Congo belge a connu d’importantes révoltes, avant d’obtenir son indépendance le 30 juin 1960. L’album Tintin au Congo, de même que Tintin au pays des Soviets (1930), a ainsi l’intérêt historique de rendre apparent l’engagement « passif » d’un dessinateur belge, c’est-à-dire la manière dont il révèle malgré lui l’a priori politique à l’œuvre dans le corps social [8]. Les BD d’une époque portent en elle les mentalités de leurs contemporains, tous embarqués dans le politique selon des modalités qui ne peuvent devenir évidentes que de l’extérieur comme, dans le cas d’Hergé, le fait qu’il éprouve en 1946 une gêne face à la manière dont il pensait en 1930, le conduisant à redessiner totalement son album. Faut-il pour autant condamner ou interdire ces œuvres [9] ?

Bécassine pendant la guerre © Pinchon et Caumery – Gautier Languereau

Car il faudrait alors aussi se tourner vers d’autres : Bécassine pendant la guerre pourrait par exemple subir ainsi les foudres des censeurs, l’héroïne devenant marraine d’un prince, qui se révèle être un spahi, « un nègre, noir comme de l’encre ». Celui-ci entre dans une crise effrayante lorsqu’il a faim, et Bécassine le croit capable de « manger le bras de sa maîtresse ». Bien qu’il soit médaillé de la croix de guerre et soit aussi artiste, le « nègre » reste associé au cannibalisme dans la croyance populaire de l’époque, mais faut-il alors, par l’interdit, effacer de la mémoire collective ces témoignages de l’état des mentalités ? Outre son absurdité, une telle idée porte en elle un autre danger : que l’on ne puisse pas comprendre que chaque période historique charrie avec elle ses engagements passifs, que les époques suivantes viendront peut-être remettre en question. En s’arrogeant le droit et le devoir de condamner les modes de pensée antérieurs, notre modernité semble considérer qu’elle a atteint une perfection éternelle, empêchant ainsi toute remise en question et toute distance critique vis-à-vis de ses propres servitudes mentales.

La manière dont nous sommes nourris par notre culture nous fait lire le comportement des autres à l’aune normatif du nôtre, constat qui n’a rien de nouveau puisqu’il est l’un des thèmes d’un des essais les plus connus de Montaigne, Des cannibales [10]. Pourtant, l’engagement dans notre quotidien peut se trouver ébranlé par la confrontation avec les autres coutumes, aux pratiques sociales ou politiques différentes, d’une façon d’autant plus efficace que l’on ne cherche pas à produire un discours objectif, et que l’on se contente de mettre en scène la confrontation de manières variées d’être embarqués. Nous avons déjà vu dans une précédente chronique la façon dont Zerocalcare ouvrait une voie vers un propos qui n’était pas à proprement parler journalistique ni même ethnologique, puisqu’il maintenait le point de vue du narrateur au cœur de la narration, ne prétendant pas atteindre une impossible objectivité. De nombreuses BD explorent cette veine narrative, dans laquelle se mêlent les différents niveaux de l’engagement : d’une part le fait que chaque homme est embarqué dans la situation culturelle qui est la sienne et qu’il emporte avec lui, constatant la distance le séparant des autres et le sentiment d’étrangeté qui en naît. D’autre part la volonté de s’engager, c’est-à-dire, comme le disait Sartre, de passer à un niveau réflexif permettant de mettre en évidence la situation d’embarquement et de constater, ou de dénoncer, celle dans laquelle se trouvent les autres.

C’est ce que fait Guy Delisle, dessinateur d’origine québécoise, dans une démarche autobiographique, qui le conduit à relater sa vie dans plusieurs pays qui ont des différences culturelles plus ou moins marquées avec son Québec natal. Ayant travaillé dans des studios d’animation en Chine et en Corée du Nord, ou suivant son épouse qui fait partie de Médecins sans frontières, il tire de ses expériences des BD comme Shenzhen (L’Association, 2000),  Pyongyang (L’Association, 2003) ou Chroniques de Jérusalem (Delcourt, 2011), qui sont autant de témoignages bruts, explorant parfois ce que l’anthropologue Kalervo Oberg a nommé le « choc culturel » [11]. Les coupures d’électricité, les difficultés d’accès à l’information ou les expériences culinaires variées sont autant de manières de comprendre dans quelle situation les autres sont embarqués, et leur simple restitution constitue de ce fait un engagement à part entière. La confrontation avec les systèmes politiques les plus durs, comme celui de la Corée du Nord n’est cependant pas appréhendée par une critique frontale du régime, mais par une mise en évidence de la vie quotidienne dans cette dictature d’un autre âge, et la manière dont les habitants parviennent à élaborer des stratégies de contournement. Néanmoins l’auteur reste lucide, sachant bien que jamais les Coréens du nord ne se risqueront à critiquer ouvertement le pouvoir face à étranger, et le récit évolue dans une sorte de semi-réalité, Delisle se trouvant en porte-à-faux par rapport à sa culture d’origine et vis-à-vis de son pays d’accueil. Ce décalage est aussi sensible dans ses Chroniques birmanes (Delcourt, 2007), où des planches sans bulles donnent un climat similaire à celui de Lost in Translation [12], montrant à la fois la difficulté de communication verbale et la profonde osmose pouvant se réaliser entre les individus sans dialogue.

© Éditions Delcourt, 2007 – Delisle

Plus profond est sans doute l’engagement dont font preuve les ouvrages qui cherchent à appréhender la politique avec les possibilités qu’offre la bande dessinée. S’il est bien entendu impossible d’être complet dans ce survol de l’engagement, signalons comme exemple le plus représentatif de ce que l’on peut à proprement parler du « journalisme en BD » l’ensemble de l’œuvre du dessinateur américain Joe Sacco. D’abord formé au journalisme, il trouve avec ce média dessiné la capacité d’explorer des méthodes et des structures narratives qui ne sont pas celles de l’investigation journalistique la plus classique, au travers d’albums centrés sur la Palestine (Palestine, Rackham, 2010 [1993-1995]) ou l’ex-Yougoslavie (Soba, Rackham, 2000 [1998] ; Gorazde, Rackham, 2004 [2000]). L’auteur ne cherche en effet plus à se cacher, devenant un élément du récit, qui perd dès lors toute prétention à l’objectivité parfaite, tout en essayant d’éviter le pur subjectivisme. Si l’ampleur de sa production mériterait à elle seule bien plus d’une chronique, je me contenterai d’évoquer son remarquable Gaza 1956. En marge de l’histoire (Futuropolis, 2010 [2009]). Se mettant en scène en train d’effectuer des entretiens, Sacco s’engage ainsi personnellement dans le récit, tentant de donner une autre vision du conflit palestinien que celle qu’il pouvait découvrir dans les médias américains [13]. En collectant des témoignages auprès de Palestiniens, il cherche à comprendre l’occupation israélienne de la bande de Gaza en 1956, provoquant un effet de dédoublement entre le passé et le présent. Le lecteur se trouve en effet parfois perdu dans certaines cases, ne parvenant plus à savoir si la période représentée à l’image se situe en 1956 ou au début du XXIe siècle… Tel est d’ailleurs le but de l’auteur, voulant montrer « la relation entre passé et présent, la continuation qui les lie, plutôt que de ne regarder que le passé ». Le choix de la BD permet aussi à Sacco de proposer une peinture recomposée de la situation, par des effets que ne peut atteindre le seul texte et qui sont difficilement réalisables par le biais d’autres formes artistiques, comme lorsqu’il associe le récit d’un vieux Palestinien racontant la manière dont les soldats israéliens les ont fait asseoir les mains sur la tête, et une saisissante représentation de la scène vue du dessus. Car « avec le dessin, tu peux toujours capturer le bon moment », ce qui est bien plus difficile avec des photographies, et lui donner aussi une profondeur esthétique qui vient prolonger et augmenter l’effet dramatique souhaité.

Gaza 1956. En marge de l’histoire © Joe Sacco – Futuropolis

La force expressive de la bande dessinée en fait un média redoutable pour produire une propagande, mais, comme en témoignent des œuvres d’apparence aussi commune que les aventures de Bécassine, elle sait aussi proposer une alternative, par sa faculté à jouer une partition originale, grâce à l’exploitation de ses codes particuliers. Au travers de son histoire, elle donne à lire l’engagement de ses auteurs, aux différents sens que peut recevoir ce terme, ainsi que celui de ses personnages. Loin des stéréotypes qui veulent la cantonner dans le ludique ou dans les brumes de l’enfance, elle s’est ainsi souvent rendue capable d’authentiques engagements, manifestant la profondeur réflexive qu’elle peut véhiculer, pour celui qui cherche à lire au-delà des images.


[1] Le tour de Gaule d’Astérix, scénario de Goscinny et dessins de Uderzo, Hachette, 1965, p.10. Le slogan est présent sur de multiples affiches de l’époque, qui insistent aussi sur les possibilités de voyage qu’offre la Coloniale.
[2] Les Pieds Nickelés s’en vont en guerre, BD en épisodes publiée en noir et blanc dans L’Épatant à partir de janvier 1915. L’ouvrage qui en a été ensuite tiré a été récemment réédité en couleur avec une préface de Jean Tulard (Librairie Vuibert, 2013), historien à qui l’on doit également Les Pieds Nickelés de Forton (Armand Colin, 2008). Le « pain K.K. » (ou « caca », Kriegskartoffelbrot) était le pain de guerre allemand, fabriqué à partir de pommes de terre.
[3] Créées en 1905 par Joseph Porphyre Pinchon, avec un scénario de Caumery, les aventures de Bécassine paraissaient dans La Semaine de Suzette, un hebdomadaire destiné aux jeunes filles de bonne famille, avant d’être publiées par Gautier Languereau. S’inspirant au départ des bourdes de sa domestique bretonne, Pinchon est devenu l’un des pères de la BD moderne, ouvrant par son style la voie de la « ligne claire ». Bécassine chez les Alliés (1917) et Bécassine mobilisée (1918) sont dessinés par Édouard Zier, alors que Pinchon est au front.
[4] Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Folio-Gallimard, 1985 [1948], p.98. L’idée d’embarquement se trouvait déjà chez Pascal lorsqu’il évoquait son pari : « il faut parier. Cela n’est pas volontaire : vous êtes embarqué » (Pensées, 343, éd. Lafuma, Delmas et Cie, 1967, p.204).
[5] Sartre, L’être et le néant, IV, I, III, Tel-Gallimard, 1986 [1943], p.612 : « L’homme, étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ces épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d’être ».
[6] La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Vrin, 2002, p.36.
[7] La citation provient du très bon article de J Blot du 10 octobre 2014. Vous y trouverez une étude assez fouillée des clichés des deux éditions de Tintin au Congo de 1931 (noir et blanc) et de 1946 (redessinée et en couleur). Je ne propose pour ma part aucune illustration étant donnée la politique parfois agressive des ayants droit d’Hergé qui, bien qu’elle ait pu connaître des revers, risque toujours d’engendrer des problèmes. Le droit de citation en France s’applique en effet de manière compliquée et très restrictive pour la BD, surtout lorsqu’il s’agit d’œuvres pour lesquelles existent de nombreux produits dérivés. Un problème que ne cessent de dénoncer ceux qui écrivent sur la BD, comme Thierry Groensteen. Bien que mes chroniques ne relèvent pas d’une dimension commerciale, je préfère éviter tout risque pour des œuvres comme Tintin, Astérix ou les Schtroumpfs. Et je tiens du coup à remercier les différents auteurs et éditeurs qui, pour chaque chronique, acceptent de donner gracieusement leurs droits pour que je puisse insérer des images dans mes textes.
[8] La question de l’engagement politique réel d’Hergé (RG : Georges Rémi de son vrai nom) est très difficile à trancher, et le fait qu’il travaille au journal Le Soir, alors que celui-ci est dirigé par les fascistes belges, lui a valu des accusations de collaboration et d’antisémitisme, dont les albums de Tintin porteraient la trace. L’évocation des rapports entre BD et politique se devrait de clarifier ces points, mais c’est peu de dire que la place — et les compétences — me manque. Je me contenterai donc de renvoyer à l’excellent Hergé, fils de Tintin de Benoît Peeters (Flammarion, 2002), un des meilleurs spécialistes d’Hergé.
[9] La saga des tentatives de censure de Tintin au Congo a connu de multiples rebondissements, que ce soit en Belgique, aux États-Unis ou en Suède. Si les interdictions officielles n’aboutissent généralement pas, ces tentatives sont le symptôme d’une époque dans laquelle le « politiquement correct » l’emporte souvent sur la volonté éducative, où il serait sans doute plus judicieux d’expliquer pourquoi, à telle époque, les gens pouvaient penser de telle manière. Dans la consternation, j’ai franchi un cap il y a quelques années lorsque j’ai entendu parler de la tentative d’interdire la Divine comédie pour racisme, islamophobie ou homophobie…
[10] La remarque ironique de fin (« Mais quoi, ils ne portent point de haut-de-chausse », Essais, I, 31, Folio-Gallimard, p.410) marque bien le ridicule de la comparaison normative qui conduit les Européens à dévaloriser les « sauvages ».
[11] K. Oberg, « Cultural Shock : Adjustement to New Cultural Environments » (Conférence à Rio de Janeiro, 1954). Le « choc culturel » se développe en quatre grandes phases : la « lune de miel » (fascination pour la nouvelle culture), la « réaction » (opposition à celle-ci, création de stéréotypes négatifs, recherche d’expatriés aux modes de vie similaires au nôtre), la « résignation » (acceptation de la situation en mise en place d’habitudes de vie nouvelles) et la « réalisation » (prise de conscience que l’autre culture n’est ni pire ni meilleure, simplement différente).
[12] Film américano-japonais de Sofia Coppola, 2003.
[13] « [Mon approche] est subjective, mais j’essaie d’approcher la vérité au plus près. Mais elle n’est pas subjective dans le sens où j’aurais une idée préconçue, et l’intention de convaincre mon lecteur. J’ai une réelle sympathie pour le peuple palestinien, mais ça ne m’empêche pas de dire la vérité, et de ne pas adoucir le trait quand ils se réjouissent du succès des attentats-suicides. Je me dois d’être honnête. Ce que je veux montrer, c’est l’interaction que j’ai eue avec les gens. Or je peux seulement la révéler en montrant les gens vrais ». Les citations de Joe Sacco sont extraites de son entretien avec Mikaël Demets pour Evene.fr, janvier 2010.
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