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Night Fevers pour clore la Biennale de la danse de Lyon
| 12 Oct 2016

Christian Rizzo, Le Syndrome Ian © Marc Coudrais. Un article de Marie-Christine Vernay sur la 17e Biennale de la danse de Lyon, 2016Des nuits dans les clubs londoniens, Christian Rizzo, chorégraphe et directeur du Centre chorégraphiques national de Montpellier, en a passées plus d’une à secouer sa solitude dans la communauté rythmée des clubbers. À partir de ces souvenirs de jeunesse, des rondeurs du disco aux angles du post-punk, il a écrit une pièce Le syndrome Ian que l’on avait déjà pu voir à Montpellier Danse cet été. Troisième volet d’une trilogie consacrée aux danses “anonymes”, selon son expression, confrontées aux danses d’auteur, cette pièce est une évocation indirecte du leader de Joy Division, Ian Curtis et de sa maladie, l’épilepsie, alias “la danse du papillon”. S’adjoignant pour la musique le groupe Cercueil avec lequel il avait déjà travaillé pour ad noctum sur les danses de couple, il propose un mixage élégant entre le clubbing et la danse de scène.

Christian Rizzo, Le Syndrome Ian © Marc Coudrais. Un article de Marie-Christine Vernay sur la 17e Biennale de la danse de Lyon, 2016

Christian Rizzo, Le Syndrome Ian © Marc Coudrais

Comme s’il lui fallait glisser sur le passé et non le retenir, les motifs et phrases chorégraphiques sont ici plus marqués qu’interprétés. La noirceur s’y oppose à des jaillissements lumineux, autant dans la musique que dans la scénographie superbement éclairée par des rayons de lumière très solaires et flashy de Caty Olive. L’espace entre les corps est ici plus important que les pas. La communauté complexe cherche ses points d’appui. Qu’est-ce qui craque si un corps s’éloigne de l’autre ? Qu’est-ce qui craque tout autant si un corps de rapproche de l’autre ? Est-ce qu’on peut danser ensemble ? Et si l’on danse ensemble, à deux ou à trois, est-ce qu’il y a entente ? Toutes ces questions sont sans réponse. Sinon peut-être une : la nuit protège. Elle menace aussi. Dans un coin, un personnage cagoulé se trémousse vaguement. Certains y verront une allusion à la fusillade homophobe de juin dernier dans la boîte de nuit le Pulse à Orlando en Floride. D’autres, un jeune homme comme le fut Christian Rizzo (il est né en 1965 à Cannes) qui “révise” les danses qui l’ont traversé et dont il est constitué.

Cela nous ramène à un spectacle que nous avions vu à Montpellier Danse, tout aussi prégnant : Sunny d’Emanuel Gat et du producteur, musicien et performer Awir Leon. Prolongeant sa danse de groupe débutée avec sa Plage romantique (2014), le chorégraphe israélien a l’art de faire circuler le mouvement, le geste, presque la parole entre les danseurs. Tout est fluide, juvénile bien que tendu et grave. Là encore, il s’agit de trouver ce qui fait cause commune. L’engagement, la légèreté d’apparence des danseurs, c’est certain. Mais quelque chose crisse dans le trop plein de bonne humeur annoncée. Il y a dans un coin une figure dérisoire ou menaçante encore : une sorte de Roi Soleil ethno sorti d’une danse traditionnelle inca (ou africaine). Le personnage fait un pied de nez à la danse académique. Pour reprendre quelques mots de Michel Bounan [1] qui semblent en lien direct avec la scène chorégraphique : “L’autre est un ’Je’, et nous sommes littéralement ’frères en Je suis’. L’expérience du ’’Je’ est une expérience de solidarité humaine universelle”.

Pour Olivier Dubois, la dépense physique est maîtresse. Auguri, qui a nécessité la présence d’un entraîneur sportif de haut niveau et rassemble vingt-deux danseurs en sueur, est une course éperdue vers l’absolu, une transe. Dans cette pièce qui achève un cycle commencé par Révolution, une pièce féminine autour de la Pole Dance et du travail à la chaîne, le chorégraphe va chercher là encore où ça résiste, c’est-à-dire dans la faculté de l’homme à dépasser des limites imparties par les pouvoirs en place. Night fevers, là encore, en plus époustouflées jusqu’à l’épuisement réparateur.

Marie-Christine Vernay
Danse

[1] Michel Bounan, L’or du temps, éditions Allia.

Auguri d’Olivier Dubois, entre autres : le 4 novembre à Aix-en-Provence, les 6 et 7 décembre à l’Opéra de Lille, du 22 au 24 mars au Théâtre National de Chaillot.
Le syndrome Ian, de Christian Rizzo, entre autres : les 27 et 29 janvier à l’Opéra de Lille, du 26 au 28 avril au Théâtre National de Chaillot.

La Biennale en chiffres : 37 spectacles, 37 villes sur toute la région Auvergne-Rhône-Alpes, 62 lieux de spectacles, 166 représentations, 91 198 spectateurs. 

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