La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Ça dégomme à Uzès
| 16 Juin 2018

Concoctée par Liliane Schaus, directrice de la Maison CDCN (Centre de développement chorégraphique national) et par son chorégraphe associé, David Wampach, la 23e édition du festival Uzès Danse est décapante et foisonnante. Délibérément tournée vers une Europe jeune et rebelle à toute forme de domination, la manifestation inscrite dans le patrimoine architectural de la ville (laquelle Ville d’ailleurs ne semble pas avoir réalisé que ce festival était un atout pour elle), vise juste en interrogeant l’actualité de manière sèche, ironique et drôle.

Ce n’est sans doute pas pour rien que l’art performance des années 1970-80 est remis à l’honneur via de jeunes artistes qui trouvent dans cet héritage encore bouillonnant matière à discourir sur un monde sur-surveillé, sous contrôle de drones et autres engins qui peuvent donner la mort à distance, en toute impunité. C’est le propos du spectacle de Julian Hetzel, performeur, musicien et artiste visuel né en Allemagne, actuellement basé à Utrecht (Pays-Bas) et associé au CAMPO de Gand en Belgique. Tous aux abris : The Automated Sniper tire sur tout ce qui ose encore bouger. Tout commence dans un espace blanc, une sorte de galerie chic où deux plasticiens s’affairent à mettre en place une belle installation.

Julian Hetzel, The Automated Sniper

Julian Hetzel, The Automated Sniper. Photo © Bas De Brouwer

Mais ces deux représentants indolents de l’art contemporain vont vite réaliser qu’ils sont des cibles. Une « arme » – en fait une imprimante qui projette de l’encre à distance, conçue avec l’aide de l’artiste multimédia Hannes Waldschülz – est fixée au-dessus de la scène et est munie d’une caméra et d’un viseur qui permet de viser et tirer. Invités par la terrible voix off d’Ana Wild, à laquelle personne ne peut résister, deux spectateurs se prêtent au jeu et deviennent des tueurs. Armés d’un joystick, ils éclaboussent tout d’abord les murs pour une œuvre plastique avant de cibler les interprètes. Le jeu est cruel, d’autant plus qu’il s’achève en Irak avec un joueur hors pair, Akram Assam.

Julian Hetzel, The Automated Sniper

Julian Hetzel, The Automated Sniper. Photo © Bas De Brouwer

Les deux interprètes méritants, car il leur faut courir avant d’être tirés comme des lapins, ont heureusement des protections (une sorte de couche de néoprène sous leurs vêtements et parfois des casques) mais ils n’en sont pas moins exposés. Sacrément bien foutu, mené sans anicroche d’un bout à l’autre des 80 minutes imposées, The Automated Sniper est bien sûr un jeu mais qui s’y frotte s’y pique et la menace plane. Le metteur en scène ne manque pas de préciser dans un entretien réalisé par le festival que les armes technologiques se vendent, l’Allemagne dont il est originaire étant l’un des plus gros exportateurs. Il rappelle : « Je suis critique par rapport à ce qui se passe dans la base aérienne militaire de Ramstein, d’où les forces américaines dirigent la plupart des opérations militaires qu’elles mènent dans le monde à l’aide de drones. Cela se passe sur le sol allemand, avec l’assentiment du gouvernement allemand. […] Tout le monde est au courant mais personne ne bouge. »

Il est terrible de penser, alors même que l’on joue à notre chasse à l’homme avec les deux performeurs Bas van Rijnsoever et Claudio Ritfeld, qu’ils viennent d’en abattre un ou une, quelque part dans un pays peut-être même pas en guerre.

Marie-Christine Vernay
Danse

Uzès Danse, par la Maison CDCN, 04 66 03 15 39, jusqu’au 17 juin. À ne pas rater les 16 et 17 juin, la carte blanche à David Wampach et ses guests.

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