La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Constance Guisset, le tourbillon de la vie
| 28 Nov 2017

En 2008, Constance Guisset participe à la Design Parade 03 de la Villa Noailles de Hyères. Elle y présente un prototype d’une large suspension, encore un peu fragile, en forme de chapeau capeline féminine, un mobile en rubans noirs, léger, qui se balance, joueur et éclairant. Et une cage-aquarium de conte, permettant la rencontre d’un oiseau et d’un poisson, chacun dans leurs univers, mais ensemble, dans le même objet. Voilà qui n’était ni banal ni standard. Elle ne sera pas la lauréate de ce concours mais gagnera le prix du public.

En 2010, sa grande lampe est éditée par Petite Friture, elle se nomme Vertigo, et devient la pièce fétiche et à succès de cette designer (designeuse, vraiment non !). À tel point qu’un jour, je retrouve ce luminaire dans la salle d’attente de mon médecin, enveloppante, protectrice, particulièrement relaxante dans ce lieu un peu inquiet. Cela soigne des cabinets austères vieillots, ou de l’ameublement générique invisible. L’objet a fait son chemin, de l’expérimental à la grande diffusion. Comme Constance Guisset qui a su passer de son mémoire sur la magie à l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle), à « Actio ! », exposition au musée des Arts décoratifs de Paris. En dix ans, cette jeune femme née en 1976 dans la région parisienne a su attraper tous les possibles du design.

Ravir. Exposition "Constance Guisset Design, Actio !" au musée des Arts décoratifs de Paris

Ravir

On retrouve donc dans cette exposition très dense, une nuée de suspensions Vertigo, graphiques et voltigeuses. Dans une salle entière, où l’on s’immerge, elles contribuent à Ravir, en équation avec les mathématiques existentielles de Laurent Derobert, dont les formules définiraient l’Espérance ou l’Inconstance. Et en écho avec la création musicale du Studio MBC. Constance Guisset n’a peur de rien, elle n’aligne pas ici ses objets, ils ne sont jamais seuls. Elle les fait réagir, dans l’espace, aux sons, aux autres disciplines comme la danse, le théâtre, l’art, ils sont ornés de mots, de formules et de verbes actifs qu’elle prend soin de choisir : « Cultiver l’atmosphère, intriguer, réveiller les décors, hypnose éphémère, exigence ergonomique, science-fiction, risquer… » Ce n’est pas une surprise cette manière de tout brasser, embrasser, elle qui dès 2009 a conquis le chorégraphe Angelin Preljocaj, avec une scénographie de papiers blanc, pour son solo du Funambule de Genet. Elle a le sens du mouvement, celle qui dit « Actio ! » comme on dirait moteur, en guidant les déplacements des corps-visiteurs dans son paysage d’objets colorés, narratifs, fantasques.

Chroma

Constance Guisset sait d’abord « accueillir », orienter ce qui n’est pas si simple dans ce musée aux strates labyrinthiques. Avec des conversations, espaces de pauses pour le visiteur, ou avec Chroma, une assise miroir, ou encore avec un élément signalétique sculptural en pin, métal et néons. C’est ainsi qu’elle peut relier les deux volets de sa présentation : vers les collections muséales du Moyen-Âge et de la Renaissance où elle immisce ses objets en intrus, et vers sa monographie où ses objets vivent leur vie.

C’est avec « une érudition joyeuse », comme le signale Olivier Gabet (directeur des musées des Arts décoratifs) qu’elle se confronte à l’histoire. Elle rapproche deux lits, tels deux personnages d’une mini-pièce de théâtre, auxquels des comédiens prêtent leurs voix : l’un est Sa majesté le lit, un vieux plumard à dais (vers 1500) qui pouvait accueillir quatre à cinq personnes toutes nues derrière ses rideaux verts ; l’autre, Plume (2017), est un lit tout jeune, d’appoint et transformiste, une cabane conçue pour que les enfants jouent, lisent, rêvent. Avec le même principe, elle met en regard les portraits de femmes (vers 1500) à manches amovibles du peintre florentin Giulio Bugiardini et la lampe sur pied Murnpeowie (2017) qui elle aussi joue d’effets de manches, en lin et en papier.

Plume, lit modulable, 2017, ed. Cyrillus © Constance Guisset Studio

Plume

Pour se promener dans son travail, il faut passer par la case « Habiter ». Deux Period Rooms contemporaines font descendre meubles et ustensiles de leur piédestal, on peut s’asseoir, toucher, c’est rare au musée. On testera son Windmills (La Cividina, 2014), poufs en cercle et en dégradé de couleurs, une clé USB Culbuto, une horloge Éclipse et une encoignure dessinée avec l’artiste Marc Couturier, où l’on plonge la main comme dans un placard un peu fantôme. De salle en salle, on tournera avec les boîtes Cairn (Petite Friture, 2011), en circonvolutions, on s’envolera avec des foulards divagants, on sera porté par la Dancing Chair à bascule (prototype, 2007) ou un tabouret crinoline (2013). On dansera encore avec La Fresque et Les Nuits du ballet Preljocaj. À travers tous ces projets, apparaît le travail d’élaboration en collectif avec son studio et ses partenaires. De maquettes en dessins, on imagine la gomme, les complications, les doutes et au final, le risque du choix. C’est un tableau très complet, au diapason du riche CV et des voyages de Constance Guisset : Essec, Sciences-Po, Ensci, Japon, Inde…

Cairn

Culbuto

 

Que pourrait-on reprocher à Constance Guisset ? D’en donner trop, d’étourdir le visiteur ? Dans ce foisonnement, il faut prendre la tangente, pour un parcours buissonnier : on lui pique des mots au hasard, on attrape un conte, on le digère sur une conversation, on se promène d’associations en rêves éveillés. Si cette designer n’impose pas un florilège de concepts, ou de références théoriques, elle raconte un design du côté du merveilleux. Narrative tout en restant ergonomique, elle ouvre grand les fenêtres de l’illusion, mais ne renonce pas à être terrienne et constructrice. Pour aller au-delà d’objets figés. Elle est une Mary Poppins assumée, une séductrice, son design l’exprime mais sans froufrouter. C’est de l’enfance facétieuse dont elle reste la funambule.

Anne-Marie Fèvre
Design

« Actio ! », exposition de Constance Guisset Design, Les Arts Décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris, 750001. Jusqu’au 11 mars 2018.

Angelin

 

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