La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Croatie-Portugal : une dure épreuve sans épreuve finale
| 26 Juin 2016

En langage footbalistique espagnol, on parle d’épreuve finale quand un match s’achève par une séance de tirs au but. À Lens, il s’en est fallu de quatre minutes pour que le huitième de finale entre la Croatie et le Portugal n’en arrive à l’épreuve finale, mais suivre ce match, pour les spectateurs, a de toute façon été une dure épreuve.

Après sa victoire contre l’Espagne, la Croatie de Modrić était l’équipe à battre, et c’est par peur d’être battu que Fernando Santos, le sélectionneur portugais, décida d’endormir les Croates, et au passage les millions de supporters.

Mais au football, seul le résultat final compte. Les joueurs au maillot à carreaux ont presque tout réussi, il ne leur a manqué que le plus important : la précision devant le but. Deux styles de jeu s’affrontaient, avec pour seul point commun de vouloir faire mourir les spectateurs d’ennui. Ce en quoi les joueurs ont atteint leur objectif.

À noter dans le temps règlementaire, la défense de Pepe, solide ou tout du moins engagée. Plusieurs fois, il a rendu le ballon à l’adversaire mais a ensuite tout donné pour le récupérer.

Cristiano Ronaldo a tenté retournés et autres gestes techniques, mais les Croates n’était pas là pour faire dans la dentelle et leur stratégie fut de le descendre. Aucune des deux équipes n’a joué trop dur mais le jeu a été physique, ce qui n’a pas favorisé les virtuoses du ballon.

Modrić, le cerveau croate, n’était pas dans un bon jour, neutralisé en partie par le marquage sévère que Santos avait organisé en son honneur. Et il faut bien avouer qu’Ante Čačić, l’entraîneur croate qui estimerait après le match que le meilleur n’avait pas gagné, n’a pas été capable de sortir son équipe du piège tendu par son homologue portugais.

Après la pause, le scénario n’a pas changé, comme si au lieu de passer la deuxième mi-temps les chaînes de télé repassaient la première.

Au moins Santos et Čačić peuvent-ils se targuer d’avoir battu un record : pour la première fois dans l’histoire de l’Euro, aucune des deux équipes n’a réussi un seul tir cadré en quatre-vingt-dix minutes !

Les verts essayaient sans y arriver.

Les rouge et blanc avaient oublié comment on fait.

Ceux-là jouaient de plus en plus lentement à mesure qu’approchait la prolongation.

Ceux-ci couraient, mais couraient tellement qu’en arrivant aux cages portugaises, ils ne s’arrêtaient même pas.

Imaginer les prolongations donnait sommeil mais ne faisait pas rêver.

Mais contre toute attente, au moment où le Portugal perdait en vitesse, la Croatie se réveilla et se jeta à l’attaque, encore et encore. Sans résultat ni précision. Selon toute probabilité, à force d’essayer, cette Croatie-là finirait par y arriver, même sans le faire exprès. Ce fut presque le cas à la 115ème, mais la chance était du côté des joueurs au coq (eh oui, le maître du poulailler est aussi le symbole du Portugal). Tellement qu’une minute plus tard, à la conclusion d’une contre-attaque brouillonne, Ronaldo frappait au but, le gardien repoussait mais le nouvel entrant Quaresma surgissait pour pousser le ballon au fond des filets.

Le reste relève de l’ironie du sport : le Portugal est en quart de finale de l’Euro sans avoir gagné un seul match dans le temps règlementaire. La Pologne l’attend, moins accommodante mais a priori plus accessible que la Croatie, que trop de soi-disant experts ont vue dans le costume de favori sans attendre l’épreuve du feu des matchs à élimination directe, quand les calculs ne servent plus à rien et qu’il faut gagner ou rentrer à la maison.

Une image attendrissante pour finir : Pepe et Cristiano consolant leur coéquipier madrilène Luka Modrić, qui pleurait à chaudes larmes sur la pelouse française.

En conclusion : une dure épreuve sans épreuve finale. Stratégie de non-jeu, ne pas jouer ni laisser jouer l’adversaire. De la chance et des petits calculs.

Si vous voulez du football, regardez la Copa América !

Carlos Salem
Traduit de l’espagnol par Sébastien Rutés

Carlos Salem est argentin mais vit depuis près de trente ans en Espagne. Journaliste, poète, touche-à-tout, ce sont ses romans noirs qui lui ont valu le succès, entre réalisme magique, érotisme et humour attendrissant: Aller simple (2010), Nager sans se mouiller (2010), Je reste roi d’Espagne (2011), Un jambon calibre 45 (2013) et Le plus jeune fils de Dieu (2015), tous publiés chez Actes Sud dans la collection Actes Noirs.

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Drone de drame (ou presque)

L’arbitrage du Mondial devait être assisté par des drones qui, grâce à un ingénieux système que nous ne détaillerons pas ici (trop technique pour nos lectrices), suivraient au plus près tous les déplacements des ballons. D’autres suivraient les joueurs qui profiteraient d’être loin du cœur de l’action pour préparer un mauvais coup.

Ailleurs l’herbe est plus jaune

Depuis quelques mois, on ne parle que des à-côtés du mondial du Qatar. Pots-de-vin, esclavage, chantiers mortels, catastrophe écologique à tous les étages  et diverses autres broutilles collatérales que nous passerons sous silence. Bizarrement, on a peu souligné le fait que tous les matchs se joueront… sur du sable.

J38 – Ecce homo

En cette dernière journée de la saison, une question demeure : pourquoi une telle popularité du football ? Parce que le supporteur s’y reconnaît mieux que dans n’importe quel autre sport. Assurément, le football est le sport le plus humain. Trop humain. Le football est un miroir où le supporteur contemple son propre portrait. Le spectateur se regarde lui-même. Pas comme Méduse qui se pétrifie elle-même à la vue de son reflet dans le bouclier que lui tend Persée. Au contraire, c’est Narcisse tombé amoureux de son propre visage à la surface de l’eau. (Lire l’article)

J35 – Le bien et le mal

Ses détracteurs comparent souvent le football à une religion. Le terme est péjoratif pour les athées, les croyants moquent une telle prétention, et pourtant certains supporteurs revendiquent la métaphore. Le ballon leur est une divinité aux rebonds impénétrables et le stade une cathédrale où ils communient en reprenant en chœur des alléluias profanes. Selon une enquête réalisée en 2104 aux États-Unis, les amateurs de sport sont plus croyants que le reste de la population. Les liens entre sport et religion sont nombreux : superstition, déification des sportifs, sens du sacré, communautarisme, pratique de la foi… Mais surtout, football et religion ont en commun de dépeindre un monde manichéen. (Lire l’article)

J34 – L’opium du peuple

Devant son écran, le supporteur hésite. Soirée électorale ou Lyon-Monaco ? Voire, le clásico Madrid-Barcelone ? Il se sent coupable, la voix de la raison martèle ses arguments. À la différence des précédents, le scrutin est serré, quatre candidats pourraient passer au second tour. D’accord, mais après quatre saisons dominées par le Paris Saint-Germain, la Ligue 1 offre enfin un peu de suspense… Dilemme. Alors, le supporteur décide de zapper d’une chaîne à l’autre, un peu honteux. Le football est l’opium du peuple, et il se sait dépendant… (Lire l’article)