La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Croisements
| 22 Oct 2015

Ces Bentôs ont pour objet d’interroger les correspondances entre les arts, de pointer les thématiques ou esthétiques communes entre différents champs de la création, de les mettre en regard. Il arrive que les programmateurs culturels incluent ces mises en regard dans leur travail, comme le font en ce moment le Festival d’Automne à Paris et la FIAC. Il y a déjà longtemps que le Festival d’Automne a inclus un volet arts plastiques dans sa programmation, mais cette année, la FIAC s’aventure elle aussi assez loin dans le croisement des disciplines. Le cas de l’islandais Ragnar Kjartansson est sans doute le plus emblématique et le plus passionnant. Programmé au Palais de Tokyo en partenariat avec le Festival d’Automne, l’artiste présente en effet des formes très différentes, qui vont de l’installation à la vidéo, en passant par ce qui est appelé ici une performance, qui fait précisément l’objet d’une coproduction du Palais de Tokyo et du Festival d’Automne.

Cette performance, intitulée Bonjour, peut se décrire comme une scène de théâtre d’une durée de 14 minutes, interprétée en boucle par deux comédiens en costumes qui évoluent dans un décor, répétant avec une extrême précision la partition très chorégraphique imaginée par l’artiste. Dans une salle fermée, Ragnar Kjartansson propose aussi une installation vidéo sur quatre écrans qui se présente comme un making-off en multiples points de vue du tournage pour le cinéma d’une adaptation d’une grande saga islandaise.

Dans un vaste espace, un ensemble de films courts intitulé Scenes from Western Culture propose des saynètes dont chaque photogramme pourrait être un tableau photographique. Non loin de là, avec quelques grands cartons peints, Kjartansson invente un paysage, qui se donne aussi à voir comme un décor de théâtre à l’ancienne. Enfin, une série de vidéos tournée sur une quinzaine d’années montre l’artiste et sa mère dans la répétition d’une même action que je laisse découvrir aux spectateurs à venir. Ainsi, l’artiste islandais s’empare de l’installation, du plateau de spectacle, de la représentation théâtrale, du cinéma, de la littérature, de la photographie et de l’art vidéo.

Il méritait bien un Bentô à lui tout seul, mais je tenais aussi à pointer le fait que l’esprit même des Bentôs commence peu à peu à essaimer, et qu’il devient sinon normal du moins plus fréquent que les artistes eux-mêmes cassent les murs qui enserrent encore trop souvent les disciplines. Agissant à l’intérieur d’une institution culturelle, Ragnar Kjartansson invite les amateurs d’art contemporain à aller au théâtre, ce qui relève presque, on le sait, de l’exploit. Et pendant ce temps-là, Romeo Castellucci s’installe à l’Opéra Bastille, tout en rêvant, comme il le confiait récemment à IO Gazette, de faire du cinéma expérimental. 

Si le repli sur ses frontières est un mal aujourd’hui très répandu dans le monde, certains artistes s’emploient à abattre celles des pratiques artistiques, et c’est une excellente nouvelle !

Arnaud Laporte

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