La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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De Bruits et de Fureurs
| 15 Oct 2015

Depuis 2007, l’Encyclopédie de la parole, collectif qui rassemble des poètes, acteurs, plasticiens, ethnographes, musiciens, metteurs en scène, dramaturges, chorégraphes ou réalisateurs de radio, collecte et classe des paroles de toutes sortes, entendues ici ou ailleurs et qui mettent la puce à l’oreille. Le slogan du groupe : Nous sommes tous des experts de la parole.” Tous ces gens à l’ouïe fine auraient pu se contenter d’en faire un musée, des livres ou des émissions radiophoniques. Mais ils ont décidé de remettre les mots en circulation. Joris Lacoste a 42 ans, il est artiste associé au T2G (Théâtre de Gennevilliers). Après avoir signé une Suite n°1 qui reposait sur l’unisson, il propose, dans Suite n°2, une série de prises de parole individuelles. Le spectacle, qui vient d’être représenté à Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne, est programmé dans d’autres villes ces prochaines semaines.

Joris Lacoste, Suite N°2 - Photo: Bea Borgers

Joris Lacoste, Suite N°2 – Photo: Bea Borgers

Pour harmoniser toutes ces paroles, Joris Lacoste a procédé en chef d’orchestre encore plus qu’en metteur en scène. Titanesque, son travail laisse sans voix. Tout d’abord, il a fallu aller à la pêche aux paroles qui font acte, qui s’inscrivent dans le monde en agissant ou en tentant d’agir sur lui, des paroles d’action, telles que des déclarations d’amour, de guerre, des jugements, des verdicts, des prières, des menaces. À leur pupitre, cinq acteurs performers – car il s’agit véritablement d’une performance hors du commun – s’emparent des mots prononcés par d’autres avec une force qui cloue le bec. Car sous ce flot ininterrompu de discours apparaît la réalité du monde actuel. Suite n°2 est en fait tout ce que les journaux télévisés ne nous disent pas avec leurs paroles orchestrées officiellement, de manière à flouter le réel. Ici, sans artifices, sur un plateau nu, les mots parviennent en direct, non sans humour et non sans cruauté. Si, parfois, on souhaiterait qu’une voix sensuelle vienne rompre la sécheresse des discours ou les hurlements qui nous cassent les oreilles, on ne subit  aucune agression dans ce spectacle, qui lui-même fait acte. 

Car les mots ne sont pas les seuls à être orchestrés dans ce concert aidé par la création musicale très juste de Pierre-Yves Macé. Les virgules, les silences, toutes les intonations et les ponctuations sont travaillées par des acteurs qui sont d’abord des musiciens avec pour seul instrument la voix – et une bonne oreille, qui leur permet de s’exprimer de façon convaincante dans les idiomes les plus variés : seize langues résonnent sur le plateau où l’on passe sans transition de l’arabe au japonais et du portugais à l’ourdou. Pour dire quoi ? Qu’on tue, qu’on méprise, qu’on condamne, qu’on n’entend finalement que ce qu’on veut bien entendre. Pour dire aussi l’injustice, la violence, le dédain, l’effroi, la colère. Et la hargne, la sauvagerie des paroles prononcées – elles ont toutes été dites “pour de vrai” – révèlent d’abord l’inquiétude, la panique. Dans le métro personne n’aurait vraiment pris en compte la litanie de la peur et de la rage d’un SDF. Ici oui. À la télé, on n’aurait même pas relevé les derniers mots d’un pilote avant un crash. Dans une réunion familiale, nous n’aurions pas entendu – car nous n’étions pas invité – la violence qui condamne un jeune homosexuel. Nous n’avons pas non plus entendu celui qui se dresse contre Bachar el-Assad, ni le discours interminable du ministre des Finances du Portugal, ni encore un prêche politique en lingala. Nous savons mais nous n’entendons plus. Suite n°2 révèle que c’est peut-être cette surdité qui nous rend muets. À bon entendeur, salut.

Marie-Christine Vernay

Joris Lacoste, Suite N°2 - Photo: Florian Leduc

Joris Lacoste, Suite N°2 – Photo: Florian Leduc

Prochaines dates en France : du 21 au 23 octobre 2015 au Théâtre national de Bordeaux Aquitaine, puis du 19 au 21 novembre 2015 au festival Mettre en scène à Rennes. Et en 2016-2017 : Le Maillon, Strasbourg, du 23 au 25 novembre 2016 ; à la Comédie de Clermont-Ferrand du 29 novembre au 2 décembre 2016 ; au Manège, Maubeuge, le 9 décembre 2016 ; au festival Mesure pour Mesure, Nouveau Théâtre de Montreuil, du 13 au 15 décembre 2016 ; au Théâtre Garonne, Toulouse, du 10 au 14 janvier 2017 ; les 30 et 31 janvier à la Comédie de Caen ; le 31 mars 2017 à Espaces Pluriels / Théâtre Saragosse à Pau

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