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J3 – “Jésus revient, Jésus revient”
| 31 Août 2016

“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.

En cas d’acceptation de son offre de rachat de l’Olympique de Marseille, l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois Gérard Lopez avait promis de faire revenir l’entraîneur argentin Marcelo Bielsa sur le banc. Alors, retour de l’ère “glacière” ? Le supporteur marseillais n’a pas rêvé longtemps…

Le football aime les retours. Tout ce qu’ils ont de dramatique n’a pas échappé à Hollywood : le retour, c’est la vengeance, la possibilité de rétablir la justice, la deuxième chance. Rien de plus porteur à l’écran que le vieux héros fatigué qui relève un dernier défi malgré l’âge et les blessures de la vie. Le come back fidélise le spectateur en jouant sur sa nostalgie, ce ressort profond de l’engouement pour le football. Mais il est une autre raison : dans le retour, le supporteur voit renforcée sa foi dans le club et la fidélité comme vertu théologale de son rapport au monde. Que d’anciens joueurs ou entraîneurs y reviennent confirme que le club est l’alma mater, la maison de famille, le cimetière des éléphants où le supporteur aussi aura droit au repos un jour, parmi les siens : le retour des joueurs au club, c’est la famille réunie malgré les coups durs, c’est l’affirmation d’une solidarité par-delà les aléas de la vie, la certitude de la fraternité.

Pareils à Ulysse après l’odyssée d’une carrière itinérante, certains joueurs retrouvent Ithaque, comme Rod Fanni qui vient de résilier son contrat avec la formation qatarie d’Al Arabi pour s’engager avec Marseille, où il a joué de 2010 à 2015. Cependant, il en est un qui ne revient jamais : le messie. Les chrétiens le savent, pour lesquels la parousie est toujours repoussée aux fins dernières. Le royaume de Dieu sur terre, c’est toujours pour plus tard, quelles que soient les croyances. Les anciens Aztèques attendaient le retour de Quetzalcóatl, la vieille divinité toltèque partie pour l’Est après la destruction de Tulla par Tezcatlipoca, le dieu du Soleil. Au lieu du Serpent à plumes et de ses serviteurs transformés en oiseaux, ce furent Hernán Cortés que les Aztèques virent débarquer avec ses soldats et ses chevaux, pour le résultat que l’on sait. Dans la mythologie nordique, c’est Baldr, le fils d’Odin qui incarne la beauté, la lumière et l’amour, banni par Loki dans le monde des morts de Hel, et qui n’en reviendra qu’après le Ragnarök, la bataille finale où périront les autres dieux. Le messie ne revient jamais, et s’il le fait son retour annonce l’Apocalypse (ce qui vaut aussi en politique, les fidèles de Nicolas Sarkozy sont prévenus).

Ainsi en va-t-il du football, où l’espoir du renouveau donne la foi aux supporteurs, aussi souvent reporté soit-il, aussi incertain. Le retour des dieux, c’est toujours pour plus tard, et les supporteurs marseillais  qui ont vieilli en espérant le retour tant de fois annoncé de Bernard Tapie ou de Didier Drogba attendront désormais celui de Marcelo Bielsa, toujours en vain.

Car l’offre de Gérard Lopez a été rejetée. C’est l’affairiste américain Franck McCourt qui rachètera l’Olympique de Marseille. Les spécialistes s’en réjouissent : avec un milliardaire à sa tête, le club pourra rivaliser avec le Paris Saint-Germain des Qataris (qui vient d’ailleurs d’être battu par le FC Monaco des Russes), ce qui promettrait enfin un championnat disputé, et le retour d’un suspense exilé en tribune ces dernières saisons. Étrange retournement tout de même que cet argent que d’aucuns ont désigné comme le fossoyeur du beau football d’antan, avec son professionnalisme, son calibrage, sa prime au physique, son jeu stéréotypé et la glorieuse incertitude du sport sacrifiée aux enjeux financiers, en soit désormais proclamé le sauveur à grands cris. On citait la semaine dernière Eduardo Galeano : “au fur et à mesure que le sport est devenu une industrie, la beauté l’a quittée”. Alors, à qui fera-t-on croire (si ce n’est aux fidèles de Nicolas Sarkozy ?) que l’argent nous rendra ce qu’il nous a pris ? Malheureusement, une seule chose peut rivaliser avec l’argent : plus d’argent. Qu’importe désormais le retour des messies puisqu’on a le Veau d’or ? Relégué avec d’autres sur l’étagère des idoles du passé, Marcelo Bielsa sera l’objet d’un culte confidentiel dans l’ombre de l’autel monumental de la compétitivité.

Sébastien Rutés
Footbologies

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