La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Guillaume Musso, le sexe sans métaphores
| 19 Juin 2018

Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique: chaque semaine, Edouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.

Très Honorable avec Félicitations du jury est la mention qu’a recueillie Mélanie Moidan-Lay pour sa thèse de doctorat intitulée : La représentation du sexe féminin dans la littérature et la poésie françaises du XVIe au XXIe siècles : un art de la métaphore. Ce travail présenté à l’école doctorale « Littératures françaises et comparée » de la Sorbonne est surprenant à au moins deux titres. Le premier : comment se fait-il qu’avant Mélanie Moidan-Lay, personne n’ait eu l’idée de se pencher sur ce magnifique sujet alors que vagin, touffe, vulve, hymen, con, fente, chatte, etc. sont des mots qui permettent de revisiter une grande partie du patrimoine littéraire français — à croire que le sexe féminin est, pour les écrivains de ce pays, une plaie dans laquelle il faut inlassablement porter la plume. Le second : contrairement à ce que l’on pourrait croire, la crudité des textes ne croît pas avec le temps et l’évolution des mœurs, mais au gré de facteurs complexes que Mélanie Moidan-Lay s’est employée à identifier.

Résumons à la hache les 1100 pages de la thèse, dont une version condensée devrait paraître prochainement aux Éditions du Seuil.

Tout commence avec Ronsard (1524-1585) et son fameux :

Je te salue, ô merveillette fente,
Qui vivement entre ces flancs reluit ;
Je te salue, ô bienheureux pertuis,
Qui rend ma vie heureusement contente!

Et, quelques lignes plus bas, ces vers relativement explicites :

Ô petit trou, trou mignard, trou velu,
D’un poil folet mollement crespelu,
Qui à ton gré domptes les plus rebelles,
Tous verts galants devraient, pour t’honorer,
A beaux genoux te venir adorer,
Tenant au poing leurs flambantes chandelles !

La nature de ces flambantes chandelles ne fait guère de doutes, note l’auteur de la thèse, qui souligne au passage que Ronsard recourt plus volontiers à la métaphore pour le sexe masculin que pour le sexe féminin. Néanmoins, tout cela reste fort transparent.

Un siècle plus tard, Molière (1622-1673) se montre beaucoup plus prudent, qui paraît recourir à des métaphores doublement cryptées. Considérons par exemple, dans L’École des femmes (acte II, scène 5), cet échange qui fit couler pas mal d’encre :

Arnolphe.– La promenade est belle.
Agnès.– Fort belle.
Arnolphe.– Le beau jour !
Agnès.– Fort beau !
Arnolphe.– Quelle nouvelle ?
Agnès.– Le petit chat est mort.

La formule « Le petit chat est mort » est passée à la postérité sans qu’on sache bien pourquoi. Quel petit chat ? Il n’en avait jamais été question jusque-là dans la pièce. Pourquoi est-il mort ? On ne le saura pas. Et surtout : que vient faire cette phrase dans ce dialogue entre Arnolphe et sa jeune pupille Agnès, dont le premier tombera bientôt amoureux ? Des chercheurs ont fini par noter qu’un autre chat rôdait dans L’École des femmes, et de manière tout aussi ambiguë : celui qu’Alain, domestique d’Arnolphe, invoque lorsqu’il refuse d’ouvrir la porte du logis à son maître, dans la scène 2 de l’acte I : « J’empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte ». Or cet oiseau ouvre une piste assez raide puisqu’il évoquerait la vigueur sexuelle. Le dictionnaire Richelet — premier dictionnaire rédigé en français, paru en 1680 — donne en effet cette définition : « Moineau : Petit oiseau gris, ou couleur de terre qui vit neuf, ou dix ans, qui est solitaire et fort chaud en amour ». Si l’oiseau est le sexe masculin, qu’est donc le chat ? Eh bien, on ne vous le fait pas dire, bien qu’aujourd’hui il soit plus courant de parler de chatte.

Retour aux émissions en clair avec Voltaire (1694-1778) qui commit ces vers printaniers :

Je cherche un petit bois touffu,
Que vous portez, Aminthe,
Qui couvre, s’il n’est pas tondu
Un gentil labyrinthe.
Tous les mois, on voit quelques fleurs
Colorer le rivage ;
Laissez-moi verser quelques pleurs
Dans ce joli bocage.

La réponse d’Aminthe lève toute ambiguïté, s‘il en restait, sur la nature de ces « pleurs » :

Allez, monsieur, porter vos pleurs
Sur un autre rivage ;
Vous pourriez bien gâter les fleurs
De mon joli bocage ;
Car, si vous pleuriez tout de bon,
Des pleurs comme les vôtres
Pourraient, dans une autre saison,
M’en faire verser d’autres.

Le XIXe siècle a moins de retenue, si bien que Théophile Gautier (1811-1872) peut appeler un chat un chat :

Dieu fit le con, ogive énorme,
Pour les chrétiens,
Et le cul, plein-cintre difforme,
Pour les païens ;
Pour les sétons et les cautères,
Il fit les poix,
Et pour les pines solitaires,
Il fit les doigts.

Avec Apollinaire (1880-1918), note joliment Mélanie Moidan-Lay, « la métaphore devient fluviale, quoique bien en aval du pont Mirabeau » :

Con large comme un estuaire
Où meurt mon amoureux reflux,
Tu as la saveur poissonnière
L’odeur de la bite et du cul
La fraîche odeur trouduculière.
Femme, ô vagin inépuisable
Dont le souvenir fait bander,
Tes nichons distribuent la manne
Tes cuisses quelle volupté
Même tes menstrues sanglantes
Sont une liqueur violente.

Guillaume Musso

Mélanie Moidan-Lay a eu plus de mal à trouver des exemples de qualité dans la littérature contemporaine — où il n’y a plus guère de tabous à briser et où les portes ouvertes sont les seules que l’on enfonce avec fracas — puisque l’usage de métaphores est devenu totalement superflu. Elle a donc choisi de conclure son travail de thèse par une volte-face en illustrant la manière directe, presque clinique, dont usent les auteurs d’aujourd’hui pour évoquer le sexe féminin. Son choix s’est arrêté sur la scène introductive de La Fille de Brooklyn, de Guillaume Musso (la version finalement éditée n’en a gardé que le premier paragraphe car l’éditeur a estimé que le reste « mettait le roman sur un mauvais rail », indique une note de bas de page).

 

Sur la route de la corniche, au retour, je conduisais lentement notre cabriolet de location pour que tu profites de la vue sur la côte découpée du cap. Je me souviens parfaitement de ce moment : la clarté de ton regard d’émeraude, ton chignon bohème, ta jupe courte, ton blouson de cuir fin ouvert sur un tee-shirt jaune vif barré du slogan « Power to the people ». Dans les virages, en passant les vitesses, je regardais tes jambes dorées, nous échangions des sourires, tu fredonnais un vieux tube d’Aretha Franklin.
Soudain tu as ôté ta jupe, sous laquelle tu ne portais rien, et tu es venue t’embrocher sur le levier de vitesse en te mettant à ahaner. Je t’ai fait remarquer que ce n’était pas très hygiénique et que, de surcroît, cela pouvait nuire à l’attention que je devais porter à la route — sans parler de la difficulté à changer de vitesse désormais. Mais tu allais et venais verticalement en chantonnant d’une petite voix : « The moment I wake up / Before I put on my makeup / I say a little prayer for you… ah… ah… ».
Tu as joui bruyamment. Je t’ai signalé qu’il y avait des Kleenex dans la boîte à gants. Tu as essuyé ta chatte puis le levier de vitesse du cabriolet. Merci, t’ai-je dit, soulagé à la pensée que ce ne serait pas quelque employé pakistanais de la maison Hertz qui aurait à faire ce genre de ménage derrière nous. Mais j’ai sans doute eu le tort d’ajouter : « Je n’aurais jamais imaginé que tu avais le con aussi large, ma chérie ».
Alors tu t’es jetée sur moi, et j’ai perdu le contrôle du véhicule. Si bien que nous voici maintenant comme deux idiots à manger du jambon-purée sous les néons blafards du service de réanimation de l’hôpital Pasteur de Nice.

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