La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 11 Nov 2018

Réseaux sociaux, blogs, téléphones mobiles… Je scrute nos couacs relationnels, nos dérives de comportements, nos tics de langage – toutes ces choses qui font que, parfois, je préfère me taire.

Je ne vous refais pas le couplet Aznavour : disons seulement qu’il y a quelque temps, les téléphones mobiles ressemblaient à des mini-télécommandes ; certains, pour le chic, étaient munis d’un clapet (d’un geste, on faisait « clap » avec l’air dégagé d’un James Bond qui vient de commander son cocktail) ; d’autres, comme le petit gris ci-dessous, communiquaient sur une idée de modernité qui serait bientôt le comble du has been – l’appareil, lui, resterait culte, allez comprendre.

Je me souviens qu’à l’époque je parlais régulièrement au téléphone (un « normal », comprenez un fixe) avec ma sœur tout en regardant par la fenêtre. Dans la rue, on déambulait : une personne, deux personnes, bientôt une troisième, toutes parlant dans leur « téléphone portatif ». Ça avait quelque chose d’effrayant. Autre temps, autre équipement – et autres usages. Il était alors de coutume de répondre à son téléphone quand il sonnait. Et à peine avait-on décompté les douze coups de minuit vers la nouvelle année qu’on sortait son appareil, jaugeant sa courbe de popularité à l’aune des SMS de vœux reçus.

Vingt ans plus tard, célébrant l’an nouveau, il est désormais du meilleur goût d’attendre un creux dans la soirée pour sortir son portable. On prend alors l’air dégagé sus-mentionné en annonçant qu’on devrait peut-être envoyer quelques messages.

Mais là, bing : alors qu’on s’attendait à une avalanche de vœux – et bien non, c’est nada. Ah si, un ou deux « Joyeus année » (sic), « Tous mes vooooeeeuuux » avec les émoticônes assortis (verre à cocktail, cotillons, smiley, etc.). Un examen attentif nous apprend que ces deux messages d’un goût discutable poussent le vice en ne nous étant pas adressés personnellement. D’ailleurs, on ne connaît même pas l’expéditeur – aucune idée, bon sang ! Alors oui, on s’en fout au fond. Mais c’est pas beau, ça laisse une impression de saleté. Comme les papiers gras sur le bord de l’autoroute, les chiures de pigeon sur les toits d’ardoise.

Si les vœux de la nouvelle année se sont banalisés, que dire des moments d’exception comme une union. Voici que sur mon WhatsApp, je reçois ceci :

Il y a d’abord la médiocre qualité de la photo, une pauvreté en lumière. Et une intention là aussi médiocre : le pantalon d’intérieur et les pieds nus qui disent le vautrage sur canapé – on imagine une table basse, un reste de pizza sur son carton.

Il s’agit vraisemblablement d’une main de femme, jeune et soignée. Ils sont contents, ils viennent de se fiancer, ou plutôt de se marier si on en croit des restes de traditions joaillières et cette pierre montée sur or sablé plutôt qu’en solitaire. C’était la semaine dernière – « une semaine, déjà… » Ils ont bu un coup pour fêter ça, elle glousse : « J’ai trop envie de le dire à la terre entière. » Il va pisser, elle prend la photo. Elle ne sait pas trop quoi écrire – c’est pas tous les jours qu’on proclame son bonheur à la face de WhatsApp. Elle pense à sa meilleure copine qui vient encore de se faire plaquer. Elle pense à toutes ces girls qui mériteraient trop de rencontrer l’âme sœur. Elle se sent un peu conne, mais c’est plus fort qu’elle. Il faut qu’elle le dise. Qu’elle le montre. Alors elle fait une sorte de blague : « J’en ai pris pour au minimum 30 ans. J’espère plus. » Ah. Ah.

Je ne sais toujours pas qui est à l’origine de ce message. Mais promis, je vous fais suivre les photos du nouveau-né dès que je les reçois.

Stéphanie Estournet
Je me tais et je vais vous dire pourquoi

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