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Le Labyrinthe 3 : lost generation ?
| 27 Fév 2018

Dans quel labyrinthe de cauchemar sont donc perdus les ados d’aujourd’hui ? Le troisième épisode de la dernière franchise du blockbuster teeanager vient apporter une pierre de plus à l’édifice construit par Hunger Games et Divergente, autant de grosses machines fabriquées avec et pour des adolescents – l’édifice d’une ruine, dressée dans un paysage d’Apocalypse.

Ou plutôt un Enfer de verre et d’acier, sous la forme d’un gratte-ciel hyper-high-tech où de prétendus adultes responsables exercent le pouvoir en soumettant leurs cadets à des expériences de savants fous ou des jeux de grands pervers, sinon les deux. Reality-show des combats du cirque pour la protagoniste d’Hunger Games, ou système de castes et de super-pouvoirs pour celle de Divergente… Car davantage encore que la Catastrophe, ces trois sagas mettent en scène la dystopie, de ces anticipations où oppression et propagande font dramaturgie avec les héroïsmes de la résistance et de la révolution.

Les teenagers des années 80 rêvaient de la grande aventure, cette renaissance de l’épopée et de l’optimisme par laquelle les Star Wars de Georges Lucas et les Indiana Jones de Steven Spielberg les ont proclamés rois de leur décennie. Après la parenthèse maudite des seventies – riches de chefs d’œuvre si sombres et matures, jusqu’au pourrissement -, Hollywood avait embarqué les ados eighties dans l’ivresse d’un voyage parmi les merveilles de la planète et de la galaxie, avec la trombine roublarde d’Harrison Ford en guise de tonton génial. La jeunesse de notre époque, elle, cauchemarde des mondes à l’agonie, des empires de criminels et des éternités de martyres, et à peine le songe commencé, elle a la gueule de bois.

Tout part en effet d’un réveil difficile, au cœur du Labyrinthe. Thomas/Dylan O’Brien revient à lui sans souvenir, au milieu du Refuge : un carré de nature que d’autres jeunes amnésiques habitent et aménagent, niché au centre d’un dédale sans fin, infesté de monstres gore et apparemment sans issue. Ils trouveront une voie évidemment, mais évidemment, les labyrinthes sont toujours plus grands qu’on ne croit, et la porte de secours n’est souvent que le seuil d’une autre spirale. La trilogie elle-même ne part d’un refuge que pour arriver à un autre : après s’être sorti du piège dans le tout premier opus, on traverse La Terre Brûlée dans l’épisode éponyme, avant de revenir se jeter dans la gueule du loup, au sein des seins (avec ce dernier titre formulé comme une autre spirale, celle de l’oxymore : The Death Cure).

Ouvert comme un western, le récit d’évasion devient ici d’infiltration, à mesure que nos héros pénètrent dans une cité-forteresse, en quête de proches à délivrer et de trésors à trouver, comme on entre dans un labyrinthe inversé. Sans doute, d’une saga et d’un épisode à l’autre, se syncrétisent tous les enjeux d’un récit d’initiation adaptés au futur jeune adulte – chorégraphie des amours et des amitiés, entre trahisons et fidélités ; mystique de l’épreuve et du don, recyclant les imaginaires de l’Élu christique ou du Mutant manga avec les figures de l’Odyssée ou du Chevalier – ou, heureuse modernité, de la Princesse-Guerrière.

Mais ces sagas ne se contentent pas de réactualiser ces archétypes à l’heure sombre et spectaculaire de nos crises globales – écologique ou terroriste, financière ou sanitaire, autant de champs de bataille où la science-fiction se fait survival. Paysages de destruction et de désolation, armées de zombies ou de miséreux : le public erre dans le labyrinthe à la rencontre de tous les mauvais rêves projetés sur grand écran depuis le début des années 2000, des fresques baroques de super héros ou de morts-vivants aux tableaux à la Bosch de 2012 et consorts.

Mais ce qui frappe dans les Maze Runner, Hunger Games ou Divergente, c’est comment le 1984 d’Orwell, le Meilleur des mondes d’Huxley et le Farhenheit 451 de Bradbury se réécrivent en teenage movies, confrontant la jeunesse à une élite qui manipule son peuple pour mieux l’asservir. Il en est ainsi aussi dans l’hélas méconnu Seven Sisters (Tommy Wirkola, 2017), où une fascinante Naomi Rapace incarne des sextuplées qui tâchent de survivre face à une politique totalitaire de l’enfant unique.

Dans  de tels miroitements, faut-il voir le portrait de nos jeunes générations, amputées d’utopies et d’espoirs, abreuvées de thèses complotistes et de fake news, sourdes aux politiques sauf aux extrêmes qui de France en Amérique, appellent à se révolter contre le Système ? Éblouis parmi les reflets des réseaux sociaux et des nouveaux médias, égarés dans le dédale des vérités relatives et des manipulations absolues, les adolescents se vivent-ils ainsi, en rescapés d’un chaos, en victimes d’un ordre, le chaos et l’ordre que puissants et parents leur lèguent ?

Ces deux SF, l’une catastrophique, l’autre dystopique, fusionnent dans un autre film injustement passé inaperçu, et le plus convaincant des monologues de méchant d’aujourd’hui nous vient peut-être bien d’une production Walt Disney, une fois n’est pas coutume : À la poursuite de demain (Brad Bird, 2015 – attention spoil dans tout le paragraphe !). Avant de se gâcher dans la happy end d’usage, façon clip post-benetton-macronien pour « les premiers de cordées », cette histoire de voyage temporel et de société idéale donne la parole au maître d’un monde magique parallèle, qui pratique la pire prédiction auto-réalisatrice : à force d’envoyer à l’humanité des images de son apocalypse à venir, il la précipite vers sa fin. Mais son plaidoyer pro domo se fait troublant réquisitoire. Puisqu’il était vain de vouloir faire réagir les dirigeants avec des faits et des chiffres, il préféra montrer directement à la population les crises globales qui s’annonçaient, et que croyez-vous qu’elle fit ?

Rien.

Ou plutôt, elle en consomme le show sans modération : films, séries, jeux vidéos, elle se régale, se saoule, se goinfre des visions de cataclysme ; mais pour l’en empêcher, rien. Impitoyable mise en abyme impitoyable, où l’œuvre paraît se condamner elle-même, si violemment que la guimauve finale échoue à faire passer un goût si acide, et si amère vérité.

Nous faut-il alors craindre ou espérer que les scènes de révolution, les insurrections du peuple qui dénouent ces sagas dans un déluge de sang et de feu, donnent des idées à nos “Maze Runners” d’adolescents quand ils reviendront à la conscience ?

Thomas Gayrard
Cinéma

Le Labyrinthe 3 : Le Remède mortel (2h22), de Wess Ball, avec Dylan O’Brien, Kaya Scodelario…

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