La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Lâcher prise
| 09 Oct 2015

Chanson de gestes –oubliés, mis au rebut, injurieux, réprimés, automatiques, de séduction– lexique muet qui dit nos nouvelles manies, nos censures corporelles, nos abandons, nos égarements…

Une fin d’après-midi tranquille à la terrasse du Café Beaubourg où tout semble se dérouler, pour une fois bénite, sans agitation, on sirote un demi qui n’a jamais été un demi et qui ici l’est encore moins. On remonte les bulles : si nos souvenirs sont bons, un galopin c’est 12 cl, un faux demi, c’est 25 cl, une pinte, c’est 50 cl, et plus sérieusement, un formidable, c’est 1 l. Ici, le demi est passé à 20 cl, ce qui raisonnablement ne fait même pas la première gorgée de bière. On opte donc pour un double demi de 40 cl tout en se perdant en conjonctures sur les contenants et les contenus. La liste est longue : une feuille A4 rognée n’est plus tout à fait A4, un accès illimité ne l’est plus si l’on paie certaines communications, 140 grammes de petit pois ne pèsent plus leur poids si l’on passe à 135 grammes et un livre ne l’est plus si l’on perd sa dernière page.

Perdue dans ces comptes d’apothicaire zélé, nous sommes soudain fascinée par des attroupements qui ne nous disent rien qui vaille. Des jeunes gens entourent une scène qui nous laisse coite. Un grand Noir, fort bien fait de sa personne, en tout cas sa nuque, et au garde-à-vous, sa main raide lui barrant le front, paraît en difficulté. Un homme plus âgé et plus râblé l’invective. Cela pourrait mal tourner et l’on s’étonne que la police ne soit pas déjà sur place. Et là, l’incroyable se produit, la main raide devient molle et commence à glisser pour recouvrir une partie du visage.

À deux pas, une jeune fille vient de s’affaisser. Elle dort maintenant à même le sol. Une autre, guidée par une femme tout aussi jeune, courbe la nuque puis lentement se retrouve la tête en bas, les longs cheveux balayant la chaussée. Et toujours pas de police. C’est à ce moment que l’on aperçoit le petit écriteau qui indique : hypnose gratuite. La jolie tombe sous le poids de sa chevelure et des stimuli de son hypnotiseuse. Elle lâche prise et visiblement, ce n’est pas si pénible. Les jeunes gens semblent adorer cette opération sur leur conscience. Moins cher que les drogues ou le demi à 40 cl.

Finalement, bien que l’on songe que c’est une situation bienvenue pour piquer des sacs et des portables ou un lieu idéal pour les ripperologues (mais tout est sous contrôle), les gens prennent plaisir à l’exercice. Et même si l’une des hypnotisées, rosée à force d’avoir gardé la tête en bas, le sang descendant à la tête, peine à retrouver ses esprit, ce qui nécessite une nouvelle intervention de sa magnétiseuse, il s’agit d’un fort beau spectacle. Il contredit parfaitement les raideurs de ceux qui croient tout maîtriser, tout dominer en fonçant la tête dans le mur. Les hypnotiseurs et magiciens professionnels font leur pub pour leur spectacle, les badauds deviennent des patients. Chacun y trouve son compte, même le SDF spectateur qui ramasse quelques pièces. 

Quant à notre 40 cl, il n’est plus qu’un liquide jaunâtre. Nous avons perdu le contrôle, nous souvenant qu’un jour nous sommes endormie. C’était sur la scène de la salle municipale de la station des Ménuires où un hypnotiseur exerçait. Après une journée de ski et une fondue savoyarde, nous n’avions pu résister. Il paraît que certains nous ont entendue ronfler.

Marie-Christine Vernay

Hypnose gratuite © Marie-Christine Vernay

© Marie-Christine Vernay

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