La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 23 Sep 2018

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Rien de tel qu’une apocalypse pour faire dérailler le train-train quotidien. Les factures en souffrance s’envolent au vent mauvais comme des feuilles d’automne, les problèmes de couple ne valent même plus que l’on casse la plus petite des assiettes à dessert. La perspective de la table rase balaye tous les soucis, sauf un : on va tous mourir, les amis. Certes, la tombe est promise à chacun d’entre nous un jour ou l’autre, mais que nous mourions tous en même temps ou presque, voilà qui est vraiment exceptionnel. C’est ce qui s’appelle un événement fédérateur. Pas étonnant que les films sur la fin du monde constituent un genre en soi. À ce jour, c’est l’année 2009 qui décroche le pompon avec pas moins de dix long-métrages apocalyptiques. Mais comme l’être humain est un incorrigible optimiste, le genre post-apocalyptique (certains ont donc survécu) ne se porte pas mal non plus ; il y en a eu six films dans cette veine en 2013.

Il suffit de faire la somme des films apocalyptiques et post-apocalyptiques tournés depuis l’invention du cinéma — disons quelque part entre 300 et 400 — pour voir à quel point la question travaille notre inconscient. La psychanalyse aurait beaucoup de choses à dire là-dessus, mais dans l’immédiat nous la préférons muette. Les scénaristes disposent d’une palette relativement réduite pour liquider l’humanité : collision avec un astéroïde, guerre ou catastrophe nucléaire, pandémie, anéantissement de la race humaine par des extraterrestres mal embouchés ou des robots devenus dingues, dérèglement du climat, extinction du soleil, éruptions volcaniques massives. Une piste n’est jamais explorée, celle d’un ennui mortel qui s’abat brutalement sur la planète. Sans doute serait-il difficile de créer une véritable tension narrative avec un tel sujet, mais on pourrait en tirer un film si chiant qu’il contribuerait lui-même à l’apocalypse : remarquable exemple de production autoréalisatrice. Me viennent en tête au moins dix noms de réalisateurs capables d’une telle performance, mais je les garderai pour moi.

Plus complexe, et probablement tout aussi emmerdant, serait de mettre en scène une fin du monde multifactorielle : l’Union européenne se dissout dans les populismes et le Brexit, l’Amérique vote Trump, la Chine s’arme, tandis que la température, le niveau de la mer et le désespoir ne cessent de monter, jusqu’au jour où tout déborde et l’humanité s’entretue. Le dernier plan, je le vois comme si j’y étais : la mer est couverte de grands canots pneumatiques, comme ceux qu’utilisent aujourd’hui les migrants pour fuir la misère et la guerre. On pourrait même imaginer de tourner tout le film à bord d’un de ces canots. Il existe des modèles chinois de trente mètres de long sur lesquels on peut entasser jusqu’à cent passagers. À la fin, il n’y aura plus que deux personnes à bord, et l’une demanderait à l’autre : « Tu sais où est passé le gonfleur ? »

Last Night, du Canadien Don McKellar, est mon film apocalyptique préféré. À Toronto, quelques personnages s’apprêtent à vivre leur dernière soirée, avant une fin du monde prévue depuis des mois. L’heure n’est plus au chaos mais à la résignation. L’un dîne en famille avant de retourner chez lui vivre ses dernières heures dans la solitude. Un autre tente d’achever une série d’expériences sexuelles. Enfin, la dernière (l’excellente Sandra Oh) prépare son suicide avec son compagnon, afin que sa mort ne soit pas volée par l’apocalypse. Tandis que sur la platine tourne Guantanamera (déjà une bonne raison de mettre fin à ses jours) et que dehors la foule scande le compte à rebours final, l’homme et la femme placent leur revolver contre la tempe de l’autre, mais à l’ultime seconde, au lieu de tirer, ils baissent les armes et s’embrassent.

Un premier baiser, n’est-ce pas le début d’un nouveau monde ? Ce n’est pas Alain Souchon qui me contredira :

Si la vie est un film de rien
Ce passage-là était vraiment bien
Ce passage-là était bien
Elle est repartie
Un air lassé de reine alanguie
Sur la digue un petit point parti
Dans l’Audi de son mari
Ah ! son mari
Je chante un baiser
Je chante un baiser osé
Sur mes lèvres déposé

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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