La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Splendeurs et misères
| 21 Jan 2016

Richard III, mise en scène de Thomas Jolly, au théâtre de l'Odéon (Paris)Thomas Jolly doit regretter le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour Henry VI de Shakespeare, à l’heure où la réception de son Richard III est plus contrastée. L’indulgence réservée à son spectacle-fleuve (18 heures avec entracte) était due pour beaucoup à l’énergie déployée par sa troupe de la Piccola Familia, et les faiblesses évidentes étaient estompées par la performance. Las, son nouveau spectacle, bien plus court mais beaucoup trop long, met la lumière sur les manquements de son metteur en scène et interprète du rôle-titre : absence de vision sur la pièce, jeu sans finesse, ruptures de rythmes non-maîtrisées, etc…

Edouard Louis - Histoire de la violenceÉdouard Louis doit regretter le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour En finir avec Eddy Bellegueule, sensation de la rentrée littéraire de janvier 2014. Deux ans plus tard, Histoire de la violence met peut-être à jour une certaine naïveté idéologique et sociologique, mais on reproche à l’écrivain ce qui avait été partie prenante du succès de son premier livre : les différents régimes de langage. Là où l’on voyait les mérites d’un jeune homme ayant grandi avec et par les livres, par l’art et la culture, on fustige maintenant un mépris de classe et une honte de soi.

Quentin Tarantino - Les Huit SalopardsQui sait si Quentin Tarantino regrette le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour Reservoir Dogs, Pulp Fiction, les deux Kill Bill ou encore Boulevard de la mort. Cinéaste assumé de la référence cinéphilique, l’Américain est aujourd’hui accusé de truffer les Huit Salopards de références à sa propre filmographie, alors même, me semble-t-il, qu’il semble entrer dans un âge adulte, et qu’il revisite sans son dictionnaire du cinéma à la main les thématiques qui lui sont chères, celles de la loi et de la justice.

Jean Echenoz - Envoyée spécialeQui sait si Jean Echenoz regrette le temps où l’ensemble de la presse – ou presque – louait son travail pour Je m’en vais, Ravel ou 14. Alors que sort Envoyée spéciale, nombreux sont les critiques à s’offusquer de ce que l’ancien lauréat des prix Médicis et Goncourt se fourvoie dans un roman d’aventures loufoques, alors même qu’Echenoz porte ce genre à un niveau rarement atteint de sophistication et de maîtrise, sans rien céder ni au burlesque, parfaitement assumé, ni à une langue d’une limpidité et d’une précision toujours redoutable d’efficacité narrative.

Un début de carrière est plus difficile à vivre face à une critique versatile. Des auteurs affirmés peuvent peut-être se payer le luxe de ne plus prêter attention à ce que l’on écrit sur eux. Toute la question est de savoir si les plus jeunes auront à souffrir de ces accueils changeants, ou s’ils sauront en tirer parti pour travailler leurs points faibles. Mais ce qui serait le plus dommageable, c’est que les plus anciens soient soudain frappés d’hésitation face à un accueil plus nuancé de leurs travaux au moment de poursuivre plus avant leur recherche artistique.

Arnaud Laporte

 

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Mea culpa

Retour sur le Bentô de la semaine dernière et sur les réactions qu’il a pu susciter. L’occasion de relever ici un fait récurrent concernant la critique en général. Parler ou écrire à propos d’un film, d’un spectacle, d’une exposition, d’un livre… ce n’est jamais critiquer personnellement leurs auteurs mais le résultat de leur travail, à un moment donné. Insultes et menaces en tous genres parsèment la vie du critique. Mais il faut tenir bon, continuer à regarder, lire ou écouter sans complaisance, et essayer de transmettre le plus honnêtement possible ce que l’on a ressenti, analysé et pensé d’une œuvre. (Lire l’article)

Nécrologies

Lu sur Twitter : “Dans 10 ans, si on vous demande au Trivial Pursuit de donner la date de décès d’un artiste, essayez 2016 !” Il est vrai que ce début d’année est particulièrement endeuillé. Et ces décès en cascade nous permettent d’étudier d’un peu plus près le traitement médiatique des morts d’artistes. Démonstration avec Pierre Boulez, David Bowie, Jacques Rivette, Ettore Scola, Andrzej Zulawski, Ellsworth Kelly, Gottfried Honegger, Leila Alaoui et Umberto Eco. (Lire l’article)

La répétition

Aller voir le film Un Jour avec, un jour sans, de Hong Sang-Soo. Aller voir Couple, la pièce de Gilles Gaston-Dreyfus. Rejouer les mêmes scènes, mais avec de légères variations. Qui changent tout. Et avoir l’impression de l’avoir déjà écrit, et donc de l’écrire à nouveau. Mais n’en trouver nulle trace nulle part. Être pourtant certain de l’avoir déjà écrit, ce Bentô. Donc de le répéter. Et d’écrire une variation sur le Bentô premier. Mais ne trouver aucune trace nulle part de ce qui n’est donc peut-être qu’un Bentô rêvé. Ou un Bentô à venir… (Lire l’article)

L’attente

Qu’attend-on de l’arrivée d’une nouvelle œuvre – livre, film, disque – d’un artiste que l’on apprécie ? Qu’attend-on d’y trouver ? La même chose que l’on a aimée ? La même chose, mais en mieux ? Une rupture qui nous entraînera vers de nouveaux rivages ? Et comment l’attente prend-elle fin ? Trois exemples pour en parler : la sortie en librairie de Toutes les femmes sont des aliens d’Olivia Rosenthal, du tome 1 d’Histoire de la littérature récente d’Olivier Cadiot, et celle du film de Sharunas Bartas, Peace to us in our dreamsEt en bonus, celle de l’album ANTI de Rihanna. (Lire la suite)

Autobiographique

Comment se raconter, comment orchestrer l’aller-retour entre réel et fiction pour se faire entendre ? Réponses à travers trois films (Peace to us in our dreams de Sharunas Bartas, Peur de rien de Danielle Arbid, Mad love in New York des frères Safdie), deux livres (Le silence de Jean-Claude Pirotte, Est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ? de Roz Chast) et un spectacle (Les chatouilles ou la danse de la colère d’Andréa Bescond). Lorsqu’il s’agit de se raconter, c’est toujours à l’autre qu’un artiste parle, et c’est ainsi qu’il fait bouger son monde et le nôtre. (Lire la suite)

À lire également