La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 09 Déc 2018

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Chaque jour, par petites touches, la fin du monde s’insinue dans nos têtes comme une évidence, comme une échéance inéluctable. Nous nous y habituons sans vraiment nous en rendre compte. Prenez la fin novembre. Discourant doctement sur la « programmation pluriannuelle de l’énergie » alors que, dehors, le mouvement des Gilets jaunes campait sur mille ronds-points, Emmanuel Macron lançait à son auditoire et, au-delà, aux tribus giratoires : « Il y a des Français qui disent : “On entend le Président évoquer la fin du monde alors que nous, on parle de la fin du mois”, eh bien nous allons traiter les deux, nous devons traiter les deux ». C’est ainsi que fin de mois et fin du monde ont été mariées pour le pire et pour le pire.

Rapprocher fin du monde et fin du mois était sans doute une manière de minimiser l’un des deux problèmes, mais lequel ? Analysons la rhétorique présidentielle. La petite phrase de Macron signifiait en gros que nous risquons d’aller vers une hécatombe mais que nous nous efforcerons d’y aller dans les conditions les plus décentes possibles. Elle disait aussi, à l’adresse des Gilets jaunes : vous nous faites chier avec vos fins de mois quand, nous, on s’occupe de prévenir l’apocalypse, mais ne vous en faites pas les gars, qui peut le plus peut le moins.

Cette promesse présidentielle (« traiter les deux ») n’avait de sens que si la fin du mois survenait avant la fin du monde car, dans le cas inverse, le problème de la fin du mois ne se posait plus vraiment. Il était donc à espérer que l’apocalypse survienne assez tôt dans le mois de décembre, en tout cas avant que ne tombent le prélèvement EDF et les différentes échéances mensuelles qui rythment une vie de labeur et de petites joies. En fait, l’idéal eut été que la fin du monde se produise dès le 1er décembre. Le meilleur remède aux fins de mois difficiles, n’est-ce pas la fin du monde ? Quoi qu’il en soit, en tentant de repousser la fin du monde les pouvoirs publics ne font que se tirer une balle dans le pied puisque cela va les obliger à affronter d’autres fins de mois et les colères nouvelles qu’elles engendreront. Il eût été plus rationnel pour Macron de répondre aux Gilets jaunes : estimez-vous heureux d’avoir des fins de mois difficiles plutôt que pas de fin de mois du tout. Mais il n’est pas sûr que ces derniers auraient pris la chose calmement.

La petite phrase présidentielle a été oubliée presque aussitôt que prononcée. Pourtant, depuis, tout semble avoir changé en profondeur. Face aux fins de mois et à la fin du monde, face au suicide collectif et à la montée des populismes, nous sommes tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! Ou, comme le chantait notre Johnny national (possible figure de proue des Gilets jaunes), et comme il continue probablement de le brailler six pieds sous terre :

On est champion
On est tous ensemble
C’est le grand jeu
La France est debout
Votre passion toujours nous rassemble
Allez les Bleus, on est tous avec vous.

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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