La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Vieux comme le monde
| 03 Mai 2017

Le genre idéal est noir. Comme un polar, un thriller, une enquête judiciaire ou un roman naturaliste. Et c’est de l’humain, de la tragédie grecque, du meurtre, en série, passionnel, accidentel, d’État, ordinaire parfois.

Que l’on croie en un Dieu, en des valeurs, même simplistes, portées par des leaders politiques ou des systèmes économiques, chaque être humain aspire à une vie équilibrée et parfaite, quitte à la confier, à intervalles réguliers, à des autorités le déresponsabilisant de tout. Être rassuré. Faire partie d’un groupe, d’une famille, d’une nation. Se protéger des périls, mêmes imaginaires.

Il faut pour cela une forme de foi en l’homme, en soi, en des forces obscures parfois. La sorcellerie, et la transgression. Les sacrifices, humains de préférence, voire d’enfants, symbole de pureté. L’offrande ultime, a fortiori si elle vient des parents. Une manière de s’attirer les bonnes grâces, d’obtenir une domination sur le commun des mortels sans passer par les cases du mérite, de l’effort ou du talent. Un donnant-donnant, fondé sur le secret, l’élitisme, la récompense et l’abjection quand la majorité ne sait pas, n’oserait jamais et servira de gibier, depuis la nuit des temps.

Les sociétés modernes, sophistiqués, rationnelles ont leurs propres holocaustes. Ici les chômeurs, les précaires. Ailleurs les homos, les réfugiés. Plus loin les chrétiens ou les musulmans. La trouille de perdre l’emploi sanctifié qui paralyse des pans entiers de la population n’est pas si différente de la terreur du loup-garou au Moyen-âge.

En Navarre, pilier de l’Église et de forces mythologiques païennes à travers les siècles, dans la vallée de Baztán, une petite fille décède étouffée dans son berceau. Mort subite du nourrisson. La grand-mère pourtant, dans son demi-sommeil, a bien entendu de légers bruits. Et dans la chambre, décorée d’une profusion de rubans, de dentelles roses et de fées, se trouve au pied du berceau une peluche répugnante. L’analyse la révèle imbibée d’un fluide au taux de bactéries si virulent qu’il ne peut provenir que de la bouche d’un animal mort. Le père est arrêté.

La mythologie et les légendes basques s’invitent alors dans l’enquête. Inguma, un démon des plus anciens, entre la nuit par les fissures des murs pour s’asseoir sur la poitrine des enfants et boire leur âme. Superstition ou ignorance, cette créature existe dans de nombreuses cultures et à bien des époques. S’il n’est pas rassasié, il se réveille pour de bon et emporte avec lui des centaines d’enfants. Peu importe que ce soit la coqueluche. Tout le monde sait que le démon n’a pas été honoré. La communauté, par manque de courage ou d’abnégation, n’a pas offert la vie nécessaire pour éloigner la tempête. Où s’arrête l’irrationnel ? La méthode policière et les vieilles traditions, l’analyse minutieuse et l’intuition pure ? S’ouvre alors une enquête où le merveilleux, l’indicible et l’horreur côtoient un monde contemporain en peine d’apporter des réponses. Or quand l’homme échoue, il en revient aux vieilles recettes, aux doctrines perverties qui se nourrissent d’innocents, prêt à suivre n’importe qui.

Lionel Besnier
Le genre idéal

Une offrande à la tempête de Dolores Redondo, traduit de l’espagnol par Judith Vernant, Folio Policier

0 commentaires

Dans la même catégorie

Combats de rue

Collaborateurs de délibéré, Juliette Keating (texte) et Gilles Walusinski (photos) publient chez L’Ire des marges  À la rue, livre-enquête engagé dont le point de départ est l’expulsion à l’été 2016, de treize familles roms de leur lieu de vie de Montreuil, en Seine-Saint-Denis.

Animaux de transport et de compagnie

Jacques Rebotier aime les animaux. Il les aime à sa façon. Il en a sélectionné 199 dans un livre illustré par Wozniak et publié par le Castor Astral. Samedi 2 mars, à la Maison de la Poésie, en compagnie de Dominique Reymond et de Charles Berling, il lira des extraits de cet ouvrage consacré à une faune étrange, partiellement animale.

“Un morceau de terre, un morceau de toile, une place”

Dans le troisième livre de la série “Des îles”, Mer d’Alborán 2022-2023, Marie Cosnay enquête sur ces lieux à part que sont ceux où “logent les morts”. Dans leur voyage périlleux entre les rives algérienne et espagnole, des hommes et des femmes disparaissent, engloutis par les eaux. Qu’en est-il des corps qui reviennent? Œuvre majeure pour crier l’inacceptable, mais avec bien plus qu’un cri: l’amour.

Jon Fosse ou la musique du silence

Si Shakespeare utilise dans son oeuvre un vocabulaire de 20.000 mots là où Racine n’en a que 2000, Fosse, lui, tournerait plutôt autour de 200. Une décroissance qui n’est pas un appauvrissement: comme ses personnages, la langue de Fosse est en retrait, en grève du brouhaha et de l’agitation du monde.