La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Zénaïde Fleuriot en un torride hiver
| 30 Jan 2018

Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique : chaque semaine, Edouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.

Depuis 1993, la revue britannique Literary Review décerne annuellement un Bad Sex in Fiction Award, à savoir un prix de la pire scène de sexe dans un livre récemment paru. La chose est devenue une institution au même titre que le prix Goncourt, en plus drôle cependant. Les lauréats, tous coupables d’un « usage grossier, insipide et souvent routinier de passages redondants de description sexuelle », se rendent rarement à Londres pour recevoir leur prix, et ils ont bien tort : la cérémonie a lieu au Naval and Military Club dans le quartier St James, un établissement autrement plus chic que Drouant.

Il y a des jolis noms dans la liste des (mal)heureux gagnants. L’Italien Erri de Luca a été distingué en 2016 pour avoir jeté dans Le Jour avant le bonheur ces quelques lignes acrobatiques : « Ma bite était un bâton coincé contre son estomac. D’un coup de hanche, elle me retourna et je me retrouvai au-dessus d’elle. Elle ouvrit ses jambes, remonta sa robe et, serrant mes hanches contre elle, poussa ma bite vers son ouverture. J’étais son jouet, elle bougeait autour. Nos sexes étaient prêts, suspendus dans l’attente, se touchant presque l’un l’autre : des danseurs de ballet dressés sur les pointes. »

En 2012, beaucoup avaient espéré que le prix irait à J.K. Rowling, descendue de son balai pour grimper aux rideaux avec, introduite dans son roman extra-pottérien Une place à prendre, cette phrase splendide  : « Il se souvenait de sa vulve rose, c’était comme si le père Noël venait d’apparaître au milieu de la pièce. » Mais c’est finalement la Franco-Canadienne Nancy Huston qui a décroché la timbale cette année-là pour une image colorée de son roman Infrarouge : « Je ne me fatiguerai jamais de cette fluidité argentée, mon sexe baignant dans la joie comme un poisson dans l’eau. » En son temps, Apollinaire avait manié la métaphore avec plus de goût, écrivant « Ta langue, le poisson rouge dans le bocal de ta voix ».

Autre absent du palmarès, le Sud-africain André Brink injustement ignoré malgré la dégoulinante plongée dans l’intimité féminine qu’il avait casée dans L’Amour et l’oubli : « La vulve en soi, les petits lobes intérieurs de même que les extérieurs, ovoïdes, plus naturellement charnus, étaient d’une inhabituelle rondeur, quasiment sphérique, comme un gros champignon exotique posé là où une branche fourche, un incomparable terrain de jeu, un Xanadu dont la rivière sacrée, l’Alph, coulait vers la mer sans marée. Non… pas sans marée. » La suite est de la même eau.

Et les écrivains français ? Aucun n’a encore été couronné. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Michel Houellebecq a tenté, dans Les Particules élémentaires, cette chose étonnante : « Je suis entré dans leur chambre, ils dormaient tous les deux. J’ai hésité quelques secondes, puis j’ai tiré le drap. Ma mère a bougé, j’ai cru un instant que ses yeux allaient s’ouvrir ; ses cuisses se sont légèrement écartées. Je me suis agenouillé devant sa vulve. J’ai approché ma main à quelques centimètres, mais je n’ai pas osé la toucher. Je suis ressorti pour me branler. » Bien essayé, mais les jurés de la Literary Review sont restés de marbre malgré leur goût prononcé pour les vulves.

Pas plus de succès pour Laurent Binet (retenu dans la short-list de 2017) pour cette métaphore industrielle glissée dans La Septième fonction du Langage : « Bianca attrape la queue de Simon qui est à la fois chaude et dure comme fraîchement sortie d’une forge sidérurgique et la connecte à sa bouche-machine. »

Zénaïde Fleuriot

Toutefois, si un Bad Sex in Fiction Award d’honneur était un jour décerné à un écrivain disparu, il n’échapperait sans doute pas à Zénaïde Fleuriot (1829-1890), romancière bretonne connue pour ses ouvrages destinés aux jeunes filles, moins connue pour ses ouvrages érotiques (désormais introuvables) dont l’un renferme une monumentale description du sexe masculin :

« Jamais Élodie n’avait vu d’arbre aussi majestueux. Il se dressait tel le tronc d’un pommier démesuré au pied duquel seraient tombés, dans une herbe noire, deux petits fruits secs. Mais de branchage, point. Son sommet était orné d’une coupole rose et brillante, tendue fièrement vers le ciel comme le dôme d’un palais, cardinale comme la flèche de la cathédrale de Chartres, vibrante comme une montgolfière gonflée de gaz rares. Quand cette canopée ronde et lisse explosa, Élodie fut couverte de tant de neige qu’elle se demanda si l’hiver n’était pas déjà arrivé. Mais nous n’étions qu’en mars, ce devait être une giboulée. »

Édouard Launet

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