La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 12 Nov 2016

“2017, Année terrible”  : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

Un populiste, Donald Trump, sera donc le prochain président des États-Unis d’Amérique. Face à pareil événement, les Grands hommes, fussent-ils morts, ne pouvaient rester muets. Au Panthéon, tous se sont réunis autour de Victor Hugo dont ils ont fait leur porte-parole, et ce soir leur porte-plume. Le poète écrit sous le regard de la petite assemblée de morts-vivants :

À tous les amoureux de la Liberté et du Progrès,

Nouveau voyage aux îles de l'AmériqueLe regard de l’Europe est fixé en ce moment sur l’Amérique. Devant une telle catastrophe, plus on aime cette république, plus on la vénère, plus on l’admire, plus on se sent le cœur serré. Un seul vote ne saurait avoir la faculté de déshonorer tous les autres, cependant nous tous, qui que nous soyons, qui avons pour patrie commune le symbole démocratique, nous nous sentons atteints et en quelque sorte compromis. L’élection de Trump est une erreur, un attentat qui prend les proportions de la nation qui le commet ; et quand on se dit que cette nation est une gloire du genre humain, que, comme la France, comme l’Angleterre, comme l’Allemagne, elle est un des organes de la civilisation, que souvent même elle dépasse l’Europe dans de certaines audaces sublimes du progrès, qu’elle est le sommet de tout un monde, qu’elle porte sur son front l’immense lumière libre, on reste saisi d’effroi.
Au point de vue politique, l’accession au pouvoir de cet homme est une faute irréparable qui ébranle toute la démocratie américaine. Elle crée dans ce pays une fissure latente qui pourrait bien le disloquer. Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la lumière humaine s’éclipse, que la notion même du juste et de l’injuste s’obscurcit, en ces jours où l’on voit se consommer l’assassinat du Progrès par le repli.
Quant à nous, qui ne sommes que cendres, mais qui, comme tous les hommes, avons eu en nous toute la conscience humaine, nous nous agenouillons avec larmes devant le grand drapeau étoilé du nouveau monde, et nous supplions à mains jointes, avec un respect profond et filial, cette illustre République Américaine de se ressaisir.
Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Trump tuant Washington.

Hugo (se tournant vers les autres) : Alors, qu’en pensez-vous mes amis ?

Voltaire : Tu y vas un peu fort, Victor. Trump, c’est quand même un choix démocratique du peuple américain.

Hugo : Rien dans cette lettre ne dit le contraire.

André Malraux : Moi, je ne m’agenouille pas devant le grand drapeau étoilé.

Hugo : Bon, je raye.

Jean Perrin : Raye aussi  “L’Amérique dépasse l’Europe dans de certaines audaces sublimes du progrès”. Depuis Hiroshima, on ne peut plus écrire des choses pareilles.

Hugo : Je raye.

Rousseau : Tu penses réellement qu’avec cette élection une partie de la lumière humaine s’éclipse ?

Hugo : Je raye.

Victor Schœlcher : Et les États-Unis sont-ils vraiment une gloire du genre humain ?

Hugo : Ils ont aboli l’esclavage.

Victor Schœlcher : Oui mais pour quel résultat…

Hugo : Ils ont élu un président noir.

Victor Schœlcher : Pour le remplacer illico par un milliardaire blanc raciste et manichéen.

Hugo : Bon, je raye.

Jaurès : Il faudrait peut-être ajouter un mot sur l’élection française de l’an prochain. Les mêmes causes…

Hugo (tendant sa plume à Jaurès) : Tiens, continue, toi. Moi je vais me recoucher.

Édouard Launet
2017, Année terrible

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