La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 27 Déc 2016

“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

Si, au Panthéon, le caveau de Victor Hugo est vide depuis près d’un mois, c’est parce que son locataire est parti à Guernesey. Si Hugo s’en est allé à Guernesey, c’est parce qu’il voulait retourner sur les lieux de son dernier exil. S’il voulait retrouver l’exil insulaire, c’est parce qu’il brûlait de contempler la mer à nouveau. Et, contemplant la mer, Victor Hugo s’extasie.

Je touche l’infini, je vois l’éternité.
Orages ! passions ! taisez-vous dans mon âme !
Jamais si près de Dieu mon coeur n’a pénétré.
Le couchant me regarde avec ses yeux de flamme,
La vaste mer me parle, et je me sens sacré.

Et la mer lui parle en effet.

La mer : Victor, as-tu pensé à t’inscrire sur les listes électorales ? Il te reste peu de temps.

Hugo : Tu fais bien de m’y faire penser. Comment dois-je procéder ?

La mer : Il faut te rendre au consulat le plus proche.

Hugo : Où est-il ?

La mer : À Guernesey, le consulat français est abrité par la Maison Victor Hugo, à Hauteville House.

Hugo : Tu plaisantes, j’imagine.

La mer (calme à peu agitée) : Ce n’est pas mon genre.

Hugo : Mais on me reconnaîtra là-bas !

La mer : Mets un habit rouge, on te prendra pour le père Noël.

En habit rouge, une hotte sur le dos, Victor Hugo se retrouve devant Cécile Blême, administratrice de la maison Hugo et, ès qualités, consul de France à Saint-Pierre-Port.

Hugo : Madame, je veux voter. C’est mon devoir, c’est mon droit. Notre pays a des choix importants à faire l’an prochain et je veux exercer mon droit de suffrage, ce droit sans lequel le citoyen n’est pas, qui fait plus que le suivre, qui s’incorpore à lui, qui respire dans sa poitrine, qui coule dans ses veines avec son sang, qui va, vient et se meut avec lui, qui est libre avec lui, qui naît avec lui pour ne mourir qu’avec lui, ce droit imperdable, essentiel, personnel, vivant, sacré.

Cécile Blême (qui feint de n’avoir pas reconnu Victor Hugo) : C’est très bien, Monsieur, mais il faut d’abord que vous vous inscriviez au registre des Français établis hors de France. À moins que vous n’y soyez déjà ? Nom, prénom ?

Hugo : Noël, Père. Père, c’est le prénom.

Cécile Blême (après une consultation diagonale du registre) : Je regrette, mais je ne vois personne de ce nom sur la liste.

Hugo : Que dois-je faire pour y figurer ?

Cécile Blême : Vous devez produire une carte d’identité ou un passeport en cours de validité ou périmé depuis moins de deux ans, un justificatif de résidence dans la circonscription consulaire et une photo d’identité.

Hugo : Je n’ai rien de tout cela.

Cécile Blême : Dans ce cas, je regrette, je ne vais pas pouvoir accéder à votre demande.

Hugo : Madame, l’heure est grave. L’édifice social et moral sur lequel la France s’est construite depuis la Libération, depuis la Révolution même, est en train de vaciller. Les nouvelles générations ont perdu tout repère ; les technologies numériques ont fait voler en éclats les traditions et normes culturelles de la classe supérieure cultivée, elles ont installé un relativisme généralisé. Chacun revendique le droit de penser par lui-même mais personne ne pense plus vraiment, le dernier tweet du dernier idiot est commenté comme un verset de la Bible. La conscience humaine s’effondre partout, en Europe comme en Amérique. Il faut que des phares s’allument à nouveau pour guider le peuple en ces temps confus. Je veux voter.

Cécile Blême (tendant un formulaire) : Pour la carte d’identité, il faudrait remplir ceci, puis y joindre deux photos d’identité conformes aux normes, un justificatif de domicile datant de moins de six mois, une copie intégrale d’acte de naissance de moins de trois mois. Ensuite il …

Hugo (la coupant) : Madame, vous ne m’avez pas compris. La France est en train de renier sa vocation universelle. Marine Le Pen et François Fillon rivalisent de propositions réactionnaires et stupides, la gauche est en miettes, Emmanuel Macron est un prestidigitateur du vide, un VRP du rien, un costume agité. Et je ne parle même pas des autres, lamentables pantins qui vont vers la défaite en faisant sonner les trompes de leur pauvre ambition personnelle. Regardez la primaire de la gauche : il n’y a même plus de campagne, ils disent ne pas vouloir déranger les Français pendant les fêtes. Ce n’est plus un renoncement politique, c’est une défaite de la pensée.

Cécile Blême : Père comment, m’avez-vous dit ?

Hugo : Père Noël.

Cécile Blême : Pour vous, je veux bien faire un effort. Un autographe sur le livre d’or de Hauteville House suffira.

Hugo : Laissez-moi vous embrasser.

Ils s’embrassent sous le regard ému des goélands.

Édouard Launet
2017, Année terrible

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