La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Alexandre Vialatte et un marronnier en fleurs
| 19 Déc 2017

Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique : chaque semaine, Edouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.

Alexandre Vialatte est cet homme qui écrivit un jour : « L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau ». Le talentueux chroniqueur de La Montagne eut aussi cette image de saison : « Les arbres sont pleins de sève, jusques et y compris le grand marronnier en bas de chez moi. C’est le printemps sans doute », mais cela personne ne le savait car la phrase figure dans un texte que le quotidien de Clermont-Ferrand a jugé préférable de ne pas publier.

Cette chronique censurée a dormi dans les archives du journal jusqu’à ce que l’historien de la presse Toussaint Graumet vienne l’en exhumer à la faveur d’un inventaire avant numérisation. Il a bien voulu nous la transmettre. La voici donc en exclusivité.

Signes précurseurs qui ne trompent pas— Durée variable du printemps — Grandeur de l’Éducation nationale — Vertus relatives du monopole — Apparition furtive de Brigitte Bardot — Apparition moins furtive d’une institutrice regrettée — De l’utilité des proverbes chinois —Grandeur consécutive d’Allah
À la boulangerie du Square, Mademoiselle Rosie a une jonquille à la boutonnière. Le deuxième tiers provisionnel est tombé ce matin dans ma boîte avec un bruit léger. Les arbres sont pleins de sève, jusques et y compris le grand marronnier en bas de chez moi. C’est le printemps sans doute.
Il y a printemps et printemps mais celui-ci semble parti pour durer. Au moins trois mois si tout se passe bien, une éternité si tout se passe au mieux. Car ce printemps-ci s’annonce d’une efflorescence exceptionnelle et durable. Tandis qu’à leurs œuvres perverses, les hommes courent haletants, Mars qui rit malgré les averses prépare en secret le printemps. Théophile Gautier n’aurait pas dit mieux, d’ailleurs c’est lui qui l’a dit. Mais de secret il n’y a plus de nos jours : comme toute la presse l’annonce cette semaine, parmi les hommes haletants se trouvent des fonctionnaires de l’Éducation nationale auxquels le ministère vient de confier une tache formidable : introduire des cours d’éducation sexuelle au collège. C’est pour bientôt, paraît-il. Le terme de scolarité obligatoire commence à sonner de façon moins sévère.
Il serait bien temps de parler sexualité aux blouses grises et aux tableaux noirs. Depuis la plus haute Antiquité, les enfants sont abreuvés d’histoires de cigogne, de choux et de graines. Pas étonnant que la population mondiale croisse si lentement. Mais c’est terminé. Les nouvelles générations auront le mode d’emploi quasiment dès le berceau et elles seront priées de s’en servir à la lettre. C’est une forme de progrès, quoique une mauvaise nouvelle pour les cigognes. Elles s’en remettront, les choux aussi, et la France se repeuplera.
Il est légitime de se demander par quel miracle les hommes et les femmes de ce pays ont jusqu’à présent, sans rien demander à l’Éducation nationale, appris à jouer à Papa-Maman. Les revues illustrées vendues sous le manteau ont probablement joué un rôle majeur dans cette édification. Le ministère de l’Instruction publique semble enfin décidé à mettre un terme à ce monopole. Pas avec les mêmes images évidemment : il serait seulement question de mettre une forme convenable, mais difficilement anodine, sur les organes convexes et concaves sans lesquels toute tentative de reproduction serait vouée à l’échec. Des dessins, pas des photos de Brigitte Bardot. Dommage, ces dernières auraient été nettement plus instructives et l’intéressée sans doute ravie de se dévouer à une si noble cause. Mais qui pour faire le pendant masculin ?
Madame Chevillard, ma revêche institutrice (paix à son âme républicaine !), aurait préféré qu’on lui passât sur le corps plutôt que d’exhiber devant ses élèves la moindre planche d’anatomie. La sienne, d’anatomie, nous est toujours restée un mystère, et sans doute valait-il mieux qu’elle le restât. Mais imaginons, non pas le détail de sa plate carcasse mais le déroulement de son premier cours d’éducation sexuelle. Madame Chevillard, rouge comme un œillet, extrait de son cartable des feuilles couvertes de redoutables hiéroglyphes, les distribue et entreprend d’en expliquer la signification à de vierges égyptologues. Soldats, du bas des ces pyramides… Le reste aurait été plus difficile à détailler sans entrer dans le vif du sujet, si l’on peut dire.
Non, Madame Chevillard aurait préféré démissionner dans l’instant plutôt que de poursuivre son cours face à des écoliers en rut. Pourquoi tant de supplices infligés à nos professeurs ? Dans le fond, la sexualité n’est-elle pas de ces problèmes auxquels une absence durable de solution vient toujours par finir à bout, comme dirait le bon docteur Queuille ?
Immobile, assis sans rien faire, le printemps vient, l’herbe pousse.
C’est un proverbe chinois.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand.

Édouard Launet
Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique

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