La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Angleterre-Galles : rester dans l’Euro (2016)
| 20 Juin 2016

J’ai accepté d’écrire la chronique de la rencontre Pays de Galles-Angleterre un peu malgré moi. À la place, j’aurais dû faire celle du match du 11 juin à Bordeaux contre la Slovaquie, parce que ce samedi là était une vraie belle journée.

La première participation du Pays de Galles à un championnat majeur depuis 1958 était l’occasion que nombreux, bien plus vieux et bien plus jeunes que moi, pensaient ne jamais connaître… Même parmi les optimistes les plus incurables que je fréquente.

Ce match contre la Slovaquie était LE GROS MATCH du groupe du Pays de Galles. Et nous l’avons gagné. Et mon ami Rhodri et moi sommes passés à la télévision après le deuxième but – décisif – de Robson-Kanu. Génial.

Un peu “malgré moi”, aussi, parce que la rencontre Pays de Galles-Angleterre est toujours marquée du sceau de la débilité médiatique : la soi-disant “presse galloise” (inexistante, en vérité) parle sans cesse du “vieil ennemi” et la soi-disant “presse britannique” s’obstine à refuser de couvrir les événements avec impartialité. Cette dernière ne ratera pas non plus l’occasion de se livrer à son passe-temps favori qui consiste à tout rapporter à la Seconde Guerre mondiale. Le match va donc être une énième soi-disant “Bataille d’Angleterre”. Pour être tout à fait honnête, tout ça me fait “chier aux larmes” comme le disent les Australiens avec un franc-parler admirable. Je comprends, bien sûr, la tentation de cette approche, où “le petit valeureux” a l’opportunité de vaincre “le grand méchant loup”, et ce faisant, redresse les nombreux et divers torts de l’histoire… Mais cela n’a rien à voir avec la saga du Pays de Galles dans l’Euro 2016.

J’ai passé beaucoup de temps en France au cours de ces dernières années et j’ai souvent été amené à dire que je suis gallois, et pas anglais. Dans de telles situations, le plus souvent, les gens retiennent, quelque peu incrédules, la proposition négative, la partie “pas anglais”, plutôt que l’affirmation positive “gallois”. Si tant est qu’ils aient entendu parler du Pays de Galles, évidemment. (“Mais vous êtes quand même anglais, enfin…”*)

Et très souvent, et même parfois très vite, cela mène à des situations où vous êtes vous-même perçu comme un “extrémiste”, même si le fait que vous ayez cette conversation est uniquement dû à l’ignorance de votre interlocuteur.

Si le tournoi de cet été pouvait avoir au moins une vertu, alors ce serait celle d’apporter aux Français les connaissances – basées sur des faits et des informations réels – qu’ils n’ont visiblement pas reçues à l’école sur le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

Mais il y a une autre version possible de cette escapade estivale qui a commencé à Bordeaux et qui s’est poursuivie à Lens, bien que le Pays de Galles ait perdu. C’est, je pense et j’espère, le rejet par les Gallois eux-mêmes de la logique rédhibitoire* qui consiste à penser que tout va bien “pourvu qu’on batte les Anglais”.

Pendant que ces derniers se mettaient avec les Russes sept nuances de merde dans la gueule, là-bas à Marseille, les “pas Anglais” étaient en train de vivre à Bordeaux – presque aussi littéralement que mon imagination le permet – un rêve éveillé : celui d’être nos propres représentants, et de si belle manière, avec un protocole turbulent, dans une “Europe des égaux”, enfin telle qu’on aimerait qu’elle le soit. Certains d’entre nous, les plus fervents Européens, ont même pris du steak tartare*.

Aussi est-ce avec une certaine appréhension que nous avons abordé le match à Lens. Même quand elles se passent bien, les confrontations avec l’Angleterre ne sont pas une sinécure, et cette fois-là, non seulement nous pouvions être entraînés, à nouveau, dans le pénible récit sempiternellement entendu, mais nous pouvions en plus nous prendre sept nuances de merde dans la gueule.

Après 39 minutes, Gareth Bale, le plus Grand Gallois Vivant, nous a mis en tête, grâce à un coup franc qui nous a semblé, depuis notre position dans les gradins, avoir été tiré d’au moins 39 mètres.

À la mi-temps, nous menions ; et dans le ventre du stade, l’ambiance était comme jamais je n’en avais connue. Non pas qu’elle était plus intense ou plus sonore ou plus fervente que, par exemple, lors des qualifications contre la Belgique il y a un an jour pour jour ou presque, mais parce qu’un nouveau paradigme (rouge), celui de Bordeaux, coulait dans nos veines. De plus, même si c’était contre l’Angleterre, la rencontre était devenue, si j’ose dire, “comme les autres”, et ce qui comptait était le résultat possible pour une qualification, ce qui constituait une victoire en soi. Les supporteurs du Pays de Galles ont chanté pendant les quinze minutes de pause sans discontinuer, faisant la queue pour les toilettes, pour la bière à 0,5% et pour des barres de Mars.

Pendant la deuxième mi-temps, nous sommes restés trop en défense, et nous avons été dominés. Il était clair que l’équipe anglaise méritait la victoire. Au bout de dix minutes, Jamie Vardy a marqué un but légèrement chanceux – ça aurait été un hors-jeu de plusieurs kilomètres sans la tête oblique de Ashley Williams – avant que Sturridge n’en marque un second, à la dernière minute de jeu.

Il y avait de la déception, bien entendu, parce qu’un point aurait été bon à prendre. Mais il n’y avait plus cette impression de fin du monde comme au cours des défaites précédentes, et j’ai même ressenti une pointe de fierté face à la réaction que nous avons eue. Ce n’était pas une autre de ces “défaites de dernière minute qui vous fendent le cœur”, “si près et pourtant si loin”. C’est-à-dire que nous étions, tout à coup, dans un tournoi majeur et nous pouvions encore finir en tête du groupe. L’Angleterre n’était pas le gros match. C’était la Slovaquie ! Et désormais la Russie, envers qui nous avons notre propre revanche (sportive) à prendre, à cause de leur tricherie sur fond de dopage dans les playoffs de l’Euro 2004.

Les supporteurs anglais semblent n’avoir commencé à donner de la voix qu’au moment du coup de sifflet final, quand ils eurent gagné. Ils ont leur hymne national (notionnel), God Save the Queen, et une chanson, écrite pour le championnat européen qui s’est tenu en Angleterre en 1996 et qui parle de “football qui revient à la maison”. Comme s’ils voulaient dire “vous pouvez garder pour vous toute cette merde étrangère de tiki-taka, calcio”.

Ils sont marrants, les Anglais, quand on pense à eux en tant que nation à proprement parler, plutôt qu’en tant que porte-étendards de la “Grande-Bretagne” avec laquelle, et pendant si longtemps, ils ont été interchangeables.

Ils n’ont pas à se plaindre quand même. Ils ont un héritage riche, des trésors et des témoignages d’estime de la planète entière, de la prospérité (par rapport au Pays de Galles par exemple), et une souveraineté culturelle connue et respectée dans le monde entier. Ils ont même une (plutôt) bonne équipe de football, et ce de façon constante. Et pourtant, en-dehors de la spéculation immobilière, il n’y a pas grand-chose dont ils semblent véritablement jouir.

Ce ne sont pas de gros fans de l’Europe, ils n’aiment pas la Russie ni l’Allemagne, ils n’aiment pas les immigrants et ils n’ont pas grand chose à foutre de leurs voisins sur l’île de Grande-Bretagne. Leurs supporteurs, à Marseille et à Lille, chantent “On emmerde la France, on vote pour la sortie”, alors que des serveuses* assiégées leur apportent des bières fraîches et des frites*.

Bon sang, ils ne donnent même pas l’impression d’apprécier le football, en tout cas pas pour ce qu’il est en soi. Les joueurs anglais – tous capables et talentueux – ont constamment l’air tendu et inhibé sur le terrain, poussés qu’ils sont – par une presse xénophobe et un discours national incapable d’autodénigrement – à réaliser des prouesses impossibles, et donc à décevoir, inévitablement.

Les supporteurs que j’ai vu traîner dans Lens, quand l’alcool a recommencé à couler à flot, ne semblaient apprécier la victoire que lorsqu’ils provoquaient les Gallois.  

Mais ce fut aussi une belle journée que cette sortie lensoise. Même pendant que nous rentrions sur Paris, sur l’A26, l’Autoroute des Anglais* (toujours eux !), nous évoquions le plaisir d’avoir pu assister au but de 45 mètres de Bale, et ô combien merveilleux ça avait été de flirter avec la victoire dans un match que nous savions devoir probablement perdre.

Oh, comme il est merveilleux, aussi longtemps que durera l’aventure, d’être un petit pays à part entière, partie intégrante de l’Europe en tant que telle… Et ce même si, en dépit que nous finissons premiers de notre groupe, les Anglais nous gâchent finalement la fête en nous envoyant pour de bon* dans le décor lors du referendum du 23 juin et cela malgré nous.

Owen Martell
Traduit de l’anglais par Benoît Séverac

*En Français dans le texte. (NdT)

Owen Martell écrit des romans et des nouvelles en gallois et en anglais. Son dernier roman, Intermission, a été traduit en plusieurs langues. La version française, Intermède, est paru en 2013 aux Éditions Autrement.

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