La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Anne Nguyen, hip hip hop hourra !
| 15 Oct 2016

Du plus loin qu’on s’en souvienne, en tout cas du moins depuis la création de la Compagnie Par Terre, Anne Nguyen s’est toujours tenue en retrait des polémiques qui agitèrent le milieu hip hop. La question du hip hop pur ou pas n’a guère stimulé son esprit. Elle traçait sa route, influencée également par les arts martiaux et son cursus scientifique. Sa curiosité pour tous les déplacements (et dépassements) des lignes l’a amenée autant dans sa propre pratique de danseuse que dans ses spectacles ou ateliers – depuis 2012 à Sciences Po, elle anime par exemple un atelier de pratique et de réflexion intitulé “Hip hop, une culture contemporaine” – à mettre au point une méthode basée sur les postures, la décomposition des mouvements et leur déploiement dans l’espace scénique, dans les théâtres ou en plein air. Artiste associée depuis 2015 au Théâtre national de Chaillot, la chorégraphe peaufine ses recherches et invente de nouveaux rapports au public. Sans s’éloigner de son vocabulaire de base, ni de son énergie de breakeuse de choc – elle fut championne en solo ou en groupe à l’IBE en 2004 puis au BOTY en 2005 – elle sait aussi développer de nouvelles syntaxes. Dans son spectacle bal.exe, un bal mécanique sur une musique de chambre, pour huit poppeurs et cinq musiciens classiques, elle explorait les danses de couple si peu présentes dans le hip hop. Le looping pop était né.

Anne Nguyen, Danse des guerriers de la ville, Théâtre national de Chaillot, 2016 © Thomas Bohl. Une critique de Marie-Christine Vernay dans délibéré

© Thomas Bohl

Au Théâtre national de Chaillot, c’est une tout autre expérience qu’elle propose en complicité avec le vidéaste Claudio Cavallari et vingt-sept danseurs. Un challenge que de se faire une place dans ce crew (cette famille) mais l’accueil est si attentif (y compris grâce au personnel de Chaillot) qu’on se laisse embarquer. À l’entrée, au sommet des impressionnantes marches de l’édifice, un danseur semble œuvrer tout seul, on le retrouvera plus tard. En suivant les fresques de danseurs en attitudes, on parvient à la salle Béjart. Et là, on a le choix. On opte pour un cours avec Yanka Pédron – le danseur de l’entrée – par caméra interposée. Le tetris, sorte de lego élaboré avec les outils du corps, notamment les mains et les bras, nous convient. Le professeur d’électro est d’ailleurs patient et plus que sympa. Pour en savoir plus sur cette technique, on passe au “Tuts”. Sur un cintre, des tenues sont mises à disposition, à chacun de faire son look. C’est donc en riant que l’on s’installe sur un cube en se positionnant dans la silhouette d’un danseur comme dans un photomaton. Clic, la photo est prise et quelques minutes plus tard, on apparaît sur un écran entrain de locker, popper, breaker ou hyper. 

On essaie le “Bounce”. Face à un écran, on tente d’entrer dans les pas d’un danseur. Le bounce, appelé aussi rock ou jack, mouvement rythmique de rebond est plus difficile à saisir. On choisit donc de jouer aux cartes. Il s’agit de défier une équipe adverse comme dans les battles en déplaçant ses joueurs danseurs, c’est-à-dire en chorégraphiant. On finira par le jam, une rencontre avec les danseurs en coiffant un casque de réalité virtuelle pour une immersion à 360° parmi eux. Trois minutes de films suffisent à saisir ce que l’énergie collective peut produire. Le Pass Pass est une danse au sol en break qui conjugue les mouvements des jambes au sol en appui sur les mains. Une spécialité d’Anne Nguyen qui ici prend tout son sens. Son installation est un vrai tour de passe-passe. “Ma danse – écrit-elle dans son Manuel du Guerrier de la Ville qui donne son nom à l’installation Danse des Guerriers de la ville – est une transgression du mouvement. Le béton m’aspire par les pieds. Face à la marée des mouvements linéaires, je prends le contrôle de mon centre de gravité. Je plonge vers le bitume, sous la surface où les autres évoluent.”

Nous n’en ferons pas autant mais ses installations amènent à mieux comprendre les sensations des hip hopers et le sens du vocabulaire hip hop. Tout en s’amusant.

Marie-Christine Vernay
Danse

Danse des guerriers de la ville, installation interactive d’Anne Nguyen, Théâtre national de Chaillot, 01 53 65 30 00, jusqu’au 21 octobre (durée du parcours de 30 à 45 minutes).

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Mon prénom est une ancre

Le spectacle “Fuck Me” de la chorégraphe argentine Marina Otero ne cesse de nous entraîner sur des fausses pistes… qui sont loin de mener nulle part.

La danseuse inconnue

À partir d’une image acquise dans une vente en enchères, un voyage dans le temps à la poursuite de Marina Semenova, icône de la danse classique au temps de l’Union soviétique.

La Pavlova

Elle fut la première véritable diva du ballet. La star des tsars. Mondialement connue elle contribua à faire passer la danse de l’artisanat à l’industrie du rêve. Un livre, signé Martine Planells, retrace la vie d’Anna Pavlova, danseuse et chorégraphe de légende.

Bailographies à Mont-de Marsan

La 31e édition du festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan s’est tenue du 2 au 6 juillet. Programmation de qualité, mélange générationnel, la manifestation ne s’essouffle pas. En prime, une très belle expo photo signé Michel Dieuzaide.