La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Bror Gunnar Jansson fait trembler la Boule Noire
| 17 Juin 2016
Concert Bror Gunnar Jansson. Un article de Dino Di Meo dans délibéré

Photo DR

Il a toujours l’air d’un clean cut kid. Pourtant Bror Gunnar Jansson hurle un boogie lancinant et musclé qu’un John Lee Hooker ne pourrait renier. Jeudi soir, dans la petite salle de la Boule Noire, Bror (qui signifie frère en suédois) a fait trembler les murs du Boulevard Rochechouart. Celui qui est surnommé “Enmanna” (one man band) sait tout faire. Costume trois pièces rayé style année 30, chapeau et bretelles, manie la guitare électrique sans complexes. C’est aussi en chaussettes rayées qu’il actionne sa panoplie de pédales assassines. Une grosse caisse couplée à un charleston, une caisse claire placée debout face au public et qui explose dès qu’il actionne sa baguette articulée… l’artiste se montre aussi un génie de la mécanique.

Lorsqu’il chante ses complaintes d’un autre temps, sa bouche se tord à en faire oublier cette gueule d’ange qui attire aussi les filles. Car dans la salle, il y a peu de la faune blues habituelle. Mesdames sont bien là pour apprécier ses mots et regarder la souffrance qu’il dégage lorsqu’il interprète, en anglais, des compositions qui l’expédient dans les champs de coton des années 30. Car Gunnar est allé déterrer les trésors d’une autre époque. Le jeune compositeur est un fin fouineur des bacs à disques qui ne s’arrête pas tant qu’il n’a pas trouvé ce qu’il veut. “Je suis remonté dans l’histoire de la folk music américaine, du blues et du gospel, jusqu’aux années 20, explique-t-il. Je me suis arrêté là où s’arrêtaient les enregistrements.” Dans cette atmosphère sudiste, il s’invente des personnages et leur mène une vie très dure, un peu à l’image de Butch, le boxeur de Tarantino, celui qui est payé pour se coucher. Sa guitare électrique saturée au maximum est capable de réveiller Leadbelly ou Charlie Patton.

Gunnar, 28 ans, est originaire de Göteborg. Il a baigné dans la musique familiale avec l’accordéon du grand-père, le violon de la soeur et surtout le groupe de blues de son père, Serves You Right To Suffer, déjà en honneur de John Lee Hooker. Pour Gunnar, c’était plutôt le saxophone à dix ans avant de passer par la chorale. “Par hasard, dit-il. Mais c’est là que j’ai découvert que j’aimais chanter. L’envie de jouer de la guitare ne m’est venue que vers 16 ans. Juste pour m’accompagner.” Depuis, son histoire est presque un conte de fées. Lorsqu’en 2012 il se décide enfin à mettre les pieds dans un studio d’enregistrement, Gunnar sait qu’il touche quelque chose de fort. Mais son disque, il devra le faire seul. Aucun producteur en Suède n’a les oreilles assez sensibles pour entendre ses lamentations. Un autre compatriote qui, lui, vit à Berlin, va tomber par hasard sur un des disques qu’il vient de réaliser. Christoffer Johansson le contacte et lui en achète une centaine. Puis Nicolas Miliani, un Français amateur de lutte et de blues, entre également en scène. Son label Normandeep Blues s’empare de ses complaintes et chouchoute cet homme-orchestre si particulier. Il enregistre un second album Moan Snake Moan et commence une série de tournées en France où il fait souvent salle comble. Récompensé par l’Académie Charles Cros, Bror Gunnar Jansson est depuis devenu un incontournable de la scène blues.

Dino Di Meo

Concert Bror Gunnar Jansson. Un article de Dino Di Meo dans délibéré

Photo DR

Concert ce soir 17 juin à 20 heures à La Boule Noire, 120 boulevard de Rochechouart, Paris 18e. 

À lire également : “Bror Gunnar Jansson, gentleman bricoleur”, par Dino Di Meo.

 

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Fragments de terre et d’eau

Depuis six ans, au début du mois de septembre, le Festival Terraqué pose la musique vocale et instrumentale à Carnac et ses environs. Son directeur artistique, Clément Mao-Takacs, fait de chaque concert un exercice d’hospitalité accueillant aux artistes, aux publics et à la musique. Le mot Terraqué, emprunté à Guillevic, signifie « de terre et d’eau ».

Un opéra, c’est une vie

L’opéra, c’est une vie, mais beaucoup plus vivante que notre banale vie, une vie en relief et en je ne sais combien de dimensions: sonore, visuelle, vocale, pneumatique –ça respire–, olfactive – votre voisin s’est parfumé–, tactile – la peau du chanteur dans sa voix, le mur de ce décor…

Clichés et contre-clichés (lieu commun)

Chaque nouvelle édition du festival d’Aix-en-Provence apporte dans son sillage une nouvelle rhétorique de la note d’intention. Cette année, le cliché est à la mode, ou plutôt la chasse aux clichés. Mais que penser des contre-clichés du Moïse et Pharaon de Tobias Kratzer?

Débats lyriques (où le naturel revient au galop)

À l’opéra comme ailleurs, les débats font rage: on se dispute, on s’affronte, on s’écharpe. Et voici que revient sur l’avant-scène la très sérieuse question du black face, qui est une autre manière de parler de nature et d’artifice.