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Un chariot de ménage qui dit bonjour
| 10 Juil 2017

À Bayonne, silence dans une salle de la Maison de la vie citoyenne, cité Balichon. Sur la scène de ce petit théâtre improvisé, deux performeuses vont dévoiler un objet caché sous un tissu et de la fumée. Abracadabra ! C’est un chariot de ménage ! Avec un guidon, une sonnette, un frein, des balais, des cuvettes, des chiffons, des poubelles. Toute cette mise en scène pour un banale voiture à bras d’entretien ? Mais ce chariot a su s’accrocher à une étoile, trimballer une sacrée histoire et faire rouler ensemble beaucoup d’acteurs : des salariés au départ, un bailleur social, des designers, une entreprise de métal, et une médiation culturelle originale. Une histoire de design, joyeuse, utile, comme on en rencontre peu. Qui donne spontanément envie de chantonner « Chaaariot, Chaaariot, si tu veux de moi… Je pars avec toi », de Petula Clark.

Chariot de ménage Habitat Sud Atlantic. Un article de Anne-Marie Fèvre

Tout a commencé fin 2013 quand les employés d’entretien de l’office public Habitat Sud Atlantic se sont plaints de leurs chariots de ménage standard. En plastique, ils tanguaient, se cassaient, inadaptés à leurs tailles différentes, franchissaient mal les trottoirs d’immeuble en immeuble. Sans compter le mal de dos, les douleurs aux bras… Le Comité d’hygiène est saisi. Un petit groupe de salariés se constitue alors au sein de l’entreprise. Ils définissent un cahier des charges et réalisent leur prototype de chariot en bois idéal. Leur outil n’aboutit pas. Ils ne sont pas designers.

La direction d’Habitat Sud Atlantic se rapproche de Pierre Marsaa, médiateur de Pointdefuite, une association agréée par la Fondation de France, et ses Nouveaux Commanditaires. Depuis le début des années 1990, l’action Nouveaux commanditaires permet à des citoyens d’associer des artistes à leurs préoccupations et leurs besoins en leur passant commande d’une œuvre. [1] Dans cet esprit, ce rêve de chariot, quête concrète et têtue des salariés, intéresse bien Marsaa. Il leur propose de rencontrer les designers de Normal Studio, Jean-François Dingjian et Eloi Chafai, pour élaborer l’ustensile de leurs rêves. Une employée était un peu sceptique. « On a regardé ce que faisaient les Normal Stutio. Des poêles pour Tefal, des couverts, des prises électriques… Allaient-ils savoir créer un chariot ? Ce n’est pas pareil ! On avait peur qu’ils nous mettent des guidons en forme de fourchettes ! Avec eux, j’ai compris ce qu’était le design. C’est même pour nous ! »

Les designers, eux, ont d’abord découvert – ce qui est le plus important – que « ces employés aimaient beaucoup leur travail, jusqu’à nettoyer les rainures d’un ascenseur à la brosse à dents. On a voulu leur offrir un vrai outil de métier. Beau comme un chariot à glace. Les vrais commanditaires, c’est eux. » Dingjian et Chafai ont observé le terrain intérieur et extérieur du trimbalage dans la cité, tous les gestes, habitudes, trucs de ce boulot peu considéré, écouté les doléances, idées, ajusté. Ont réalisé un « mulet ». Rediscuté. Ajusté. Il a fallu plus de trois ans pour le mettre en route.

Messager, un chariot de ménage de Habitat Sud Atlantic. Un article de Anne-Marie FèvreLe chariot fait enfin sa parade. L’idée forte des Normal Studio, c’est l’emprunt à l’univers du vélo. Trois roues, une petite et deux grandes, lui permettent de défier les trottoirs. C’est avec l’entreprise de métal et chaudronnerie Défi Industries, à Agen, qu’il a été mis au point. Le voici, élégant, blanc, rose, gris. Robuste, maniable, réparable. Son guidon se règle selon la taille de l’utilisateur. Tous les accessoires de travail sont là, solidement arrimés. Les produits écolos sont privilégiés. Petite attention particulière, un coffre de rangement, qui ferme à clé, permet de protéger les effets intimes des employés. Il est aussi devenu bien plus, un « Messager » porteur de messages, comme « On aère, on respire », « Ça sent bon la journée », « Un sourire, un bonjour » pour sensibiliser les locataires, dialoguer avec eux. Ces petites phrases ont été élaborées avec un écrivain-journaliste.

Trente chariots [2] vont se déployer pour les 7000 logements gérés par Habitat Sud Atlantic, du Pays Basque au sud des Landes. La direction de cet office public compte bien le populariser à la Semaine des HLM. Car il n’existait pas en France, avant ce « Messager », d’outil spécifique pour l’entretien d’une résidence ou d’une cité. Et s’il équipait d’autres parcs de logements français ? Roulez chariots !

Anne-Marie Fèvre
Design

[1] 480 réalisations issues de ce programme ont été installées en France et en Europe. Des artistes, architectes, designers, de Christian Boltanski, Patrick Bouchain, à Matali Crasset, ont déjà pris part à cette aventure. Le « Protocole » de cette démarche a été conçu par le photographe belge Francois Hers. Lire sa Lettre à un ami au sujet des Nouveaux Commanditaires, Les presses du réel, 9 euros.

[2] Budget 36 288 euros. Financement : Fondation de France (46%), Habitat Sud Atlantic, (31%), Fondation Carasso (12%), Région Nouvelle Aquitaine (11%).

 

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