La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Confins de la linguistique
| 14 Nov 2015

“Accusé de vol par un vigile, il se met tout nu dans le magasin et hurle ‘Je te crève, sale enculé de nègre’.”

L’incident, qui s’est produit dans un magasin de sports de Toulouse, ne mériterait pas qu’on le relate s’il n’était susceptible de faire progresser la science. L’homme sortait de la boutique lorsqu’un agent de sécurité, qui venait de découvrir un antivol cassé, lui a demandé de revenir. Le client très aviné s’est alors emporté, se mettant entièrement nu avant de proférer des injures racistes. Cet épisode, filmé par un badaud, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, plus vite en tout cas que n’importe quelle citation de Voltaire ou de Victor Hugo.

Les injures et insultes sont un champ de recherche très fécond en sciences du langage. Y est consacré depuis une trentaine années un nombre croissant de colloques et d’articles savants, ainsi qu’une revue. Certes, la plupart des chercheurs soulignent qu’un traitement purement linguistique du phénomène est inadéquat et que la “prise en compte de facteurs pragmatiques” est essentielle à sa compréhension car, comme le rappellent les Canadiens Marty Laforest et Diane Vincent, “si l’insulte relève des formes lexicales qui impliquent un jugement de valeur négatif, elle est aussi et certainement avant tout un acte social porteur de conséquences”. On risque notamment de se faire casser la gueule.

Ceci étant dit, l’université a tout de même réussi à travailler la question sans qu’aucun chercheur ne soit roué de coups. Certains ont privilégié des approches lexico-sémantiques ou syntaxiques visant à classifier finement les formes usuelles d’insultes. D’autres ont suivi des approches sociolinguistiques axées sur la fonction et les usages de certaines catégories de formes dites insultantes. D’autres encore se sont focalisés sur les approches pragmatiques au sens large en mettant l’accent sur la dimension performative, vocative de l’insulte, ou sur ses aspects énonciatifs. Enfin, l’approche ethnolinguistique qui s’est développée dans les années 1970 a tenté répondre à la question : comment et quand insulter qui dans telle langue ?

À la lumière de ces travaux, on peut avancer que “Je te crève” est clairement une menace (à dimension performative) et que “Sale enculé de nègre” est un axiologique péjoratif se situant très haut sur l’échelle de la violence verbale. Sale, enculé et nègre sont en eux-mêmes des termes dépréciatifs dont l’usage peut mener au tribunal, sinon à l’hôpital. On notera ici une forte charge sexuelle dans l’insulte, renforcée par le fait que l’insulteur se soit mis nu. La conjugaison de la violence verbale et de la nudité n’est d’ailleurs pas rare étant donné que ces deux formes de provocation peuvent se renforcer l’une l’autre. “À poil, l’arbitre !” est chose couramment entendue au bord des terrains lorsque les spectateurs contestent telle décision de l’homme ou la femme chargée de veiller à la bonne tenue d’une rencontre sportive. “Aux chiottes, l’arbitre !” est une variante usuelle, plus graphique encore, mais guère plus suivie d’effet que la précédente.

À Toulouse, les policiers ont débarqué avant les chercheurs. L’homme a accepté de se rhabiller mais ne s’est pas calmé pour autant puisqu’il a mordu l’un des fonctionnaires et distribué des coups de pied aux autres. Il a passé une nuit en prison avant d’être présenté à un juge. Quant aux témoins, ils sont rentrés chez eux pour, probablement, méditer cette remarque des chercheurs Abdelhadi Bellachhab et Olga Galatanusur formulée dans leur article “Représentation sémantique, typologie et mécanismes discursifs de la violence verbale” : “Approcher ou essayer de définir la violence verbale, c’est se retrouver devant un ensemble de réalités et de pratiques diverses et variées qui n’ont parfois de commun que le nom. S’il est un sens communément partagé, que l’on peut retrouver dans toutes les formes linguistiques ou les discours qualifiés de violents, qu’ils soient directs ou indirects, c’est celui du mal-être”.

Édouard Launet

Sciences du fait divers

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