La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Cul en ligne ? Pour les questions, j’ai Nantes
| 12 Oct 2015

sexe cul en ligne
I saw you on Tinder” (Trastevere, 2014). Crédit image : Denis BocquetCreative Commons Attribution 2.0 Generic | Flickr

Les deux usages majoritaires du net consistant à montrer ses fesses et à télécharger des séries, on n’est jamais à court de sujet pour cette chronique. C’est plutôt le contraire, le corps est partout. Ainsi hésitait-on cette semaine entre les photos de chatons adoptés par des hiboux, des chiens ou des marmottes (on aurait écrit un truc sur la position foetale, la caresse et la toxoplasmose) et quelques clips vidéos récents où la musique sonne sonne sonne (Jamie XX, Club Cheval, Battles ou Floating Points). Mais il était tellement question de danse et d’équilibre dans ces derniers qu’on s’est dit que Marie-Christine Vernay était mieux placée pour en parler.

On ouvre donc Facebook pour trouver n’importe quelle vidéo et là, miracle, dimanche soir, un chercheur de l’Université de Nantes, Fred Pailler, a posté un questionnaire en ligne pour “comprendre les usages amoureux et sexuels du web 2.0” dans le cadre de sa thèse. Soit, en gros, comment on se sert des sites de cul, de rencontre, des apps géolocalisées, de son image, de celle des autres, et si on raconte ça à nos amis ou nos parents, etc.

Comme le questionnaire propose des réponses pré-établies à cocher, il soulève forcément aussi d’autres questionnements, sur soi, autrui, la vie en général. Surtout que dès qu’on parle sexe, chacun imagine apparemment que sa manière de baiser est la seule possible sur Terre sinon la meilleure – raison pour laquelle quand ça ne fonctionne pas au lit entre deux êtres, chacun croit que c’est à cause de l’autre. Tentons de répondre honnêtement à quelques-unes de ces questions gênantes, sorties, en outre, de leur contexte.

“Durant les 12 derniers mois, vous avez eu des rapports sexuels…”

– Euh oui. Pas beaucoup quand même. Enfin, sûrement moins que mes amis. En tous cas moins que la plupart des gens sur Facebook qui ont une vie trépidante. Et puis je ne sais pas si c’était des rapports. Si ça mettait en rapport, comme dit l’autre. J’ai aussi du mal avec les réponses proposées. Par exemple il y en a qui mentionnent “dans le cadre d’une relation affective” et d’autres “avec des partenaires”. Est-ce que dans ce second cas, il n’y a pas d’affectif  ? Par exemple, si on couche une seule fois avec quelqu’un pour qui on a une tendresse momentanée, est-ce qu’on doit cocher “dans le cadre d’une relation affective plutôt instable avec un.e seul.e partenaire sans cohabitation” ? Mais si c’est une de mes colocataires ? Et puis une seule fois, c’est une relation ou pas ? Peut-être, dans le cas de ma colocataire, je devrais cocher “avec des partenaires que je vois en groupe” puisqu’on est plusieurs dans l’appartement. Et un animal, c’est un partenaire ? Il peut y avoir une relation affective avec un chien ? Bon, de toutes façons, la réponse n’est pas proposée.

“Durant les 12 derniers mois, vous avez eu recours à des pratiques auto-sexuelles (masturbation, fantasmes, excitation, etc., dont vous êtes l’auteur.e principal.e) :”

– Déjà, penser que je suis auteur parce que j’ai des fantasmes me fait plaisir. La politique des auteurs, j’aime ça. Une nouvelle vague de fantasmes, on vote pour. Mais c’est quand même compliqué, parce que dans le cas de l’excitation, je risque toujours de ne pas être l’auteur.e principal.e. Est-on l’auteur de quelque chose qu’il n’est pas en notre pouvoir d’empêcher ? Et si c’est en famille que naissent les névroses, dois-je finalement penser que, dans les films que je me fais pour me pignoler, ma mère est donc nécessairement la co-auteur.e ?

“Durant les 12 derniers mois, les sites que vous venez de lister vous ont-ils permis de…”

– Me trouver nul, moche, débile et, en gros, imbaisable. C’est-à-dire indésirable, en tous les sens du terme, d’ailleurs, je m’étais acheté une tente sous la Cité de la Mode parce qu’on ne voulait pas non plus de moi sur le pont supérieur. A force de voir tous ces corps parfaits sur les sites de rencontre et de lire des phrases du genre “il vaut mieux rater un baiser que baiser un raté”, j’ai perdu toute estime de myself et je me suis mis à manger du gras sucré à tous les repas. Je ne sais pas quelle réponse cocher. “Oublier vos soucis quotidiens” ne me semble pas exactement approprié. Peut-être “vivre une passion intense”, si l’on considère que la dépression est une passion au sens littéral ?

“Auprès de quelles personnes vous sentez-vous à l’aise pour parler de votre vie affective et/ou sexuelle (vos désirs, vos pratiques, etc.) ?”

– Apparemment, auprès des lecteurs anonymes d’un journal. Je dois donc croire que les désirs et les pratiques, tout en étant intimes, n’ont rien de personnel et que nous sommes tous cousus dans le même sac de poils.

“Accepteriez-vous de rencontrer une personne qui recherche une relation affective dénuée de rapports sexuels ?”

– Vous voulez dire qui recherche de l’amitié ? Par exemple, il y a de l’affection entre deux hommes sans sexe, les Américains appellent ça de la bromance… Oui, bien sûr, enfin sauf si c’est un.e hystérique pour qui la recherche d’affection tient lieu de relation.

“Avez-vous déjà utilisé internet dans le but d’échanger des prestations sexuelles contre de l’argent, un service ou des biens de consommation ?”

– L’IP de votre réponse sera redirigée automatiquement vers le ministère de l’Intérieur, merci. Sinon, est-ce que le mariage rentre dans ce cadre (échange d’argent, de services et de biens de consommation contre des prestations sexuelles) ?

Bon, c’est vraiment dur ce questionnaire, hein, mais je me suis bien amusé à y répondre, alors toi aussi viendez-y (bis repetita placent). Et merci Fred Pailler !

0 commentaires

Dans la même catégorie

L’oreille regarde (Thylacine + Rhodes Tennis Court)

Comment filmer un musicien populaire contemporain ? Prenons deux exemples : un qui filme et un qui joue, David Ctiborsky et Rhodes Tennis Court, respectivement. Le premier a suivi pendant deux semaines le musicien electro Thylacine dans le transsibérien, parti à la rencontre de musiciens locaux et d’inspiration. Le second, ce sont les musiciens de Rhodes Tennis Court, Marin Esteban et Benjamin Efrati, qui se décrivent comme “jouant face à face, comme à un jeu de raquettes, la compétition en moins”. Où l’on voit que c’est avec les yeux aussi qu’on fait de la musique. (Lire la suite)

Le poulet, cet incompris

Il suffit de taper “poulet” dans Vine ou “#poulet” et c’est la cataracte. Une jeune fille chante “j’ai pas mangé de poulet alors j’ai l’impression que je vais crever”. Des garçons se mettent à danser quand ils apprennent que leur “daronne” a fait du poulet. D’autres pleurent parce que le prix du poulet a augmenté. Une variante est possible avec le KFC, ce qui complique singulièrement la mise. En effet, on croyait avoir compris que ce délire gallinacé était le renversement d’un cliché raciste repris à leur compte par ceux qui en sont victimes. Bref, que les “renois”, en faisant toutes les variations possibles sur le poulet, se moquaient de ceux qui leur attribuent un goût particulier pour le poulet. Mais le poulet du KFC n’est plus exactement du poulet. C’est du poulet symbolique. (Lire la suite)

Vidéo musicale et vomi (comparatif)

L’idée de départ était de regarder deux vidéos musicales un peu contemporaines, pas trop flan façon Adele. On choisit donc Tame Impala et Oneohtrix Point Never pour la musique, soit respectivement le collectif Canada et l’artiste Jon Rafman pour la vidéo, même si dans ce second cas, le compositeur Daniel Lopatin a codirigé le clip. On regarde. L’œuvre de Rafman et Lopatin, Sticky Drama, titre idoine signifiant “drame collant”, ou en l’occurrence gluant, n’a pas manqué de détracteurs pour noter que c’était un peu dégoûtant, toutes ces pustules, ce pipi et ce vomi. Dans The Less I Know the Better de Canada, le personnage masculin aussi vomit, mais de la peinture, qui vient recouvrir le corps de la jeune fille, change de couleur et suggère des menstrues tartinant un entrejambe. (Lire la suite)

De l’instagrammatologie

Réussir son compte Instagram, ce n’est pas si facile. Parce que comme avec tous les instruments de création 2.0, le risque du “trop” n’est jamais loin. Vous avez dix mille filtres à dispo, des outils de recadrage, de réglage, etc. pour rendre une photo ratée acceptable. En général, une petite retouche suffit. Mais le syndrome “open bar” frappe régulièrement : on sature les couleurs, on ajoute un cadre vintage, et puis aussi un effet “vignette” qui fait trop mystérieux, tel un trait de kohl sous les yeux. Résultat : c’est plus un cliché, c’est un camion volé. À part ça, que montrer sur Instagram ? C’est en principe l’endroit où s’exprime votre créativité, votre voyeurisme s’exerçant quant à lui sur Facebook et votre sens du café du commerce sur Twitter. Comment accumuler les likes ou, au contraire, rater sa vie sur Instagram ? (Lire la suite)

Le #LogeurduDaesh vivait à saint Déni

De quoi pouvait-on bien rire encore après le 13 novembre ? Non pas rire sans rapport avec les attentats mais rire à leur propos, autour d’eux : comment les apprivoiser, les circonscrire psychiquement ? L’homme providentiel s’appelle Jawad Bendaoud. Les internautes l’ont hashtagué #logeurdudaesh, la faute de syntaxe valant comme signe de la parodie et de la duplicité. Il est devenu un mème en trois secondes et demie grâce à sa déclaration sur BFMTV : “On m’a demandé de rendre service, j’ai rendu service, monsieur. On m’a dit d’héberger deux personnes pendant trois jours et j’ai rendu service. Je sais pas d’où ils viennent, on n’est au courant de rien. Si je savais, vous croyez que je les aurais hébergés ?” Perçue comme un mensonge par de nombreuses personnes, la déclaration a donné lieu à des centaines de détournements. (Lire la suite)