La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Décollage immédiat
| 27 Juin 2015
“Dans l’avion, elle surprend son voisin en train de rédiger une lettre de suicide”.

L’avion n’avait pas encore décollé de l’aéroport de San Francisco. Sa destination était Austin, Texas. Il y avait 108 passagers à bord, dont l’un, à peine assis, s’était mis à griffonner nerveusement dans un carnet vert à spirale. Sa voisine, intriguée, a regardé par-dessus son épaule et découvert que l’homme consignait ses dernières volontés. Pire : il indiquait qu’il voulait emmener d’autres personnes avec lui dans la mort. La femme a prévenu discrètement le personnel de bord, et le pilote a annoncé aux voyageurs que l’avion devait retourner à la porte d’embarquement “à la suite d’un problème technique”. Dans le métro, lorsque les haut-parleurs annoncent une interruption du trafic pour problème technique, l’encre de la lettre de suicide est généralement sèche depuis bien longtemps et le désespéré déjà sous les roues de la rame. Le transport aérien ne fonctionne pas de la même manière. On ne se jette pas sous les roues d’un avion, et le suicide ne peut être que collectif. D’où l’importance de vérifier la santé mentale des passagers avant décollage.

À San Francisco, les forces de l’ordre ont fait irruption dans l’appareil et ont embarqué le suicidaire pour le confier à des psychiatres aux yeux gourmands, tandis que des chiens reniflaient tout l’habitacle à la recherche d’explosifs et de sandwichs encore mangeables. Il n’y en avait aucun. Il est possible que le texte d’adieu ait été confié à des chercheurs, car la science aime à se pencher sur ce type de prose qui constitue un genre en soi. Il ne s’agit pas d’en évaluer les qualités littéraires (bien qu’on en ait vu de très belles) mais de parfaire une typologie. L’objectif est, d’une part, de chercher à déterminer quelle solution à quelle situation visait le suicidaire en voulant se supprimer: cette combinatoire est extrêmement riche et diverse. Il est, d’autre part, d’établir des regroupements et des classes, travail minutieux qui peut être utile à l’analyse d’autres cas voire à la prévention de passages à l’acte.

Dans une thèse de doctorat titrée The language of suicide notes, une étudiante de l’université de Birmingham a relevé que la plupart des lettres d’adieu était d’une longueur inférieure à 100 mots, et que plus de la moitié d’entre elles en comptaient moins de 75, quel que soit le sexe de l’auteur. Chose étonnante: les lettres de 75 à 99 mots avaient trois fois plus de chances d’avoir été écrites par des femmes, tandis que celles qui excédaient les 100 mots avaient le plus souvent un auteur masculin (en dessous de 75 mots, pas de différence notable entre les sexes). On ne sait trop ce qu’il est possible de tirer de telles données, surtout lorsqu’on est sanglé à bord d’un avion près d’un passager fébrile. Plus intéressants, dans l’étude de Birmingham, sont les détails qualitatifs et les exemples donnés de la prose suicidaire. “Alors que je suis assis avec ce revolver dans ma main, avec lequel dans quelques minutes je vais m’ôter la vie, je repense à toutes les merveilleuses minutes, jours, années que j’ai passés avec toi” est un exemple classé à la rubrique “Mélodramatique”. Quand on commence de cette manière, il y a des chances qu’on aille largement au-delà des 100 mots. Il ne semble pas y avoir de longueur maximale. Une lettre commencée dans la salle d’embarquement à Roissy peut très bien n’être pas terminée à l’arrivée à Sydney. Il suffira de jeter un oeil de temps à autre sur les travaux d’écriture de votre voisin, éventuellement l’encourager à développer tel ou tel passage (Adieu monde cruel, oui mais encore?). Une fois débarqué de l’avion, la peine de coeur ou la soudaine faillite de l’occupant du siège 27B ne sera plus votre problème. Vous n’aurez plus qu’à passer la douane.

0 commentaires

Dans la même catégorie

30 millions d’ennemis

“‘Ne tire pas !’ : les mots d’un perroquet pourraient être utilisés dans un procès pour meurtre.” Le perroquet gris du Gabon est réputé bavard, intelligent et sociable. Il réclame cependant beaucoup d’attention et une alimentation étudiée. Par ailleurs, évitez de tuer quelqu’un en sa présence car il pourrait cafter. C’est le cas de Bud, perroquet depuis bientôt vingt ans, qui ne cesse de répéter “Don’t fucking shoot !” depuis que son propriétaire a été abattu de plusieurs coups de revolver. L’animal répète aussi – en y mettant les intonations – un dialogue qui ressemble fort à une dispute conjugale. La femme de la victime est ainsi la principale suspecte, et son sort repose entre les mains d’un procureur  qui n’exclut pas de faire témoigner le perroquet.  (Lire l’article)

Comme une vache espagnole

Après une opération chirurgicale, un Italien se réveille en parlant français.”  Son cas a fait l’objet d’une étude publiée dans la revue Cortex où l’on découvre que l’homme parle un français très approximatif mais “avec un rythme rapide, en employant une intonation exagérée et en utilisant une prosodie de film faisant de lui la caricature d’un Français”. Tous les matins, au réveil, l’homme crie “Bonjour !” en ouvrant joyeusement les volets et se met à débiter des phrases dans la langue de Molière et Houellebecq devant sa famille désemparée. Cet Italien serait victime du syndrome de la langue étrangère. À ne pas confondre avec le syndrome de l’accent étranger, un peu plus fréquent. (Lire l’article)

Electroménager blanc, idées noires

Elle achète un congélateur et trouve un cadavre dedans.” Une Américaine de Caroline du nord rachète un congélateur à sa voisine qui s’apprête à déménager. Quelques jours plus tard, l’acheteuse ouvre l’appareil et découvre qu’il contient un cadavre, celui de la mère de la voisine. Ce sont des choses qui arrivent… En lisant le titre de cette dépêche de l’AFP, je me suis pris à rêver qu’il s’agissait d’un congélateur neuf, tout juste livré par un grand magasin d’électroménager. Il aurait été possible de tracer un parallèle avec le magnifique plan séquence qu’Alfred Hitchcock souhaitait glisser dans la Mort aux trousses. (Lire l’article)

Arts de la soupe et de la grimace

“La championne du monde de grimaces fait un malaise juste après la compétition.” Elle venait de quitter la scène après avoir été sacrée championne du monde de grimaces, dans la ville anglaise d’Egremont. Subitement Anne Woods s’est évanouie et a dû être hospitalisée. Elle est sortie de l’hôpital quelques heures plus tard. Peut-être y aura-t-il un suivi médical des athlètes à l’avenir. En revanche, il n’y aura pas de prochaine édition du championnat du monde de sauna. En 2010, sa onzième et dernière édition s’est soldée par la mort de l’un des deux finalistes et l’hospitalisation de l’autre dans un état grave. La vie du sportif de haut niveau, en toutes disciplines, n’est pas que fleurs et gloire. (Lire l’article)

Scène de ménage avec freezer

Une femme frappe son compagnon avec un steak.” C’est un dimanche après-midi morose en Louisiane, le ventilateur tourne, les marais grouillent de bruits étranges, Edith picole. Lorsqu’elle ouvre la porte du freezer pour y enfourner une nouvelle bouteille de Tequila Rose, cette femme de 47 ans s’aperçoit que son compagnon Jerry a rempli le frigo jusqu’à la gueule, au point que même une bouteille n’y entrera pas. En conséquence de quoi, Edith attrape un steak congelé et le lance de toutes ses forces sur Jerry. Il aura fallu plus d’un demi-siècle pour que l’attaque à la viande congelée passe de la fiction à la réalité. (Lire l’article)