La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Des pleurotes à Frédégonde
| 01 Août 2017

Pourquoi rassembler des pleurotes, des tomates, du lard, des mini-architectures éphémères et de longues robes inspirées des reines gisantes de la basilique de Saint-Denis ? Décousu tout cela ? C’est le mot « Ensemble » qui réunit toutes ces pièces, structures et aliments. Ils génèrent tous des questions, des activités, des ateliers. Ils relèvent de l’échange, du jeu, des palabres. C’est ce que souhaite susciter tout l’été le festival #ensemble! de la Cité de la mode et du design, dans une mini-ville à vivre.

De délicates pleurotes, telles un paysage végétal, accueillent au rez-de-chaussée des Docks. On découvre un haut dispositif de cabanes conçu par le designer Germain Bourré. S’en s’échappent des grappes de champignons qui poussent dans un substrat de copeaux de bois, de carton et de café broyé. Une installation qui est d’abord décorative et insolite. Mais le créateur qui travaille sur le vivant, des végétaux au fongique, anime ici un atelier de recherche, de cuisine, avec La Boîte à champignons, des passionnés d’agriculture urbaine, d’économie solidaire et circulaire. Avec eux, on peut cultiver ce champignon dans une boîte. Pour conter pleurotes ensemble et chez soi !

© Brigitte Baudesson

On retrouve Germain Bourré au centre de la mini-ville qui s’étend au premier étage des Docks. C’est lui qui a conçu la scénographie de la Place des Remarquables, avec l’Italienne Lina Tornare, directrice de l’agence d’ingéniérie culturelle IO, tournée vers l’alimentation. C’est comme un petit marché culinaire, slow food, qu’ils proposent, où des producteurs offrent des mets simples, anti-gaspillage, avec de bons produits, des épices ou plantes innatendus. Salades de tomates goûteuses, taboulé de céréales, pains perdus retrouvés, crèpes, vins naturels, poissons, lard et fromages… Une cuisine du peu, des recettes à partager. Avec une réhabilitation des conserves. Les cuisiniers de France sont invités à remplir des bocaux Le Parfait de bons petits plats, qui seront distribuées aux plus démunis.

Autour de cette place centrale sont installées des architectures éphémères, en bois et en matériaux de réemploi, qui ne sécrèteront pas de déchets, tout sera récupéré, recyclé. C’est l’association parisienne d’architecturee expérimentale Bellastock qui a coordonné ce prototype de « ville en commun », en réseau avec d’autres collectifs d’architectes. Force Pure anime l’atelier de ce chantier en mouvement. Le groupe Serge de conceptrices parisiennes a imaginé une ère de jeu pour enfants, tel un labyrinthe en hauteur et dense. Les Parenthèse de Montpellier ont monté une bibliothèque, pour lire, écouter des lectures. Le collectif ONOFF de Berlin a tracé un circuit où l’on peut tester de drôles d’engins en bois roulants, archaïques et très lents. Et les Refunc néerlandais ont construit une arène transparente en porte-manteaux métalliques. Une aire de discussion, un espace pour danser. Ces structures sont ouvertes.

Le plus intriguant dans ce festival, en périphérie de la Place centrale, ce sont les très longues robes – trois mètres de hauteur – cousues par le designer textile Lamyne M. Ce couturier camerounais habite à Saint-Denis (93). Les sépultures des rois et reines de la Basilique lui sont très familières. Les reines l’ont particulièrement inspiré pour aborder la place de la femme dans la société, de la mode, dans une ville où « une large majorité de la population dyonisienne porte des vêtements de sport ». Avec des tissus venus d’Afrique, du Moyen-Orient, des joggings, du wax, tout un patchwork d’étoffes, des ors aux jeans, il a élaboré des parures somptueuses, colorées ou fleuries, en travaillant avec des artisans locaux, des élèves du Lycée La Source de Nogent-sur-Marne, avec des femmes du quartier Floréal et de l’association Franciade de Saint-Denis et avec Active de Chinon.

Isabelle d’Aragon par Lamyne M. © Brigitte Baudesson

Le défilé de ce créateur transforme les tissus en symboles. La cruelle mérovingienne Frénégonde (née vers 545, morte en 597) porte une hybridation canaille de sweat-shirt, de tee-shirt et Bombers, vêtements fétiches des rappeurs, avec un brin de fourrure d’hermine qui lui redonne son rang. Isabelle d’Aragon (1247-1271) est un étendard politique, elle a été la première femme à demander la féminisation de la cour. Cols, poignets de chemises, panneaux de costumes pour homme et cravates en soie composent sa tenue qui égratigne le pouvoir des cols blancs, des banquiers, des politiques et la gentrification.

Pour Lamyne M., les toilettes de Jeanne de France, Marie de Brienne, Berthe au Grand Pied, Marguerite de France, Marie d’Anjou, compositions collectives, redonnent à ces reines oubliées une alllure hype et radicale, relient les morts et les vivants. Elles font redécouvrir l’histoire de France aux Français, tout en signalant la consommation polluante, abusive et standardisée de notre siècle. Des pleurotes en kit à ces parures narratives, il y a tout un marabout de ficelles à tirer.

Anne-Marie Fèvre
Design

Festival #Ensemble! : expositions, espaces à expérimenter, rencontres, conférences, 244 ateliers (culinaires, danse, yoga du rire, architecture, bricolage, couture et lectures). Docks, Cité de la mode et du design, 34, quai d’Austerlitz, 75013 Paris. Jusqu’au 27 août 2017. Pass journée, de 4 euros à 7 euros. Programmes et inscriptions : ensemble@citemodedesign.fr

 

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