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Des chaises qui parlent
| 17 Fév 2019

#guide

 

Pourquoi aller voir encore des chaises, ces pièces si emblématiques du design mais qui souvent l’étriquent ? D’abord car elles sont exposées à la Granville Gallery de Paris, un lieu singulier, créé au départ à Granville en 2006, puis arrivée à Montparnasse, rue du Départ. Elle est animée par Jean-Pierre Bruaire et Catherine Melotte qui y distillent un travail d’équipe avec les designers, artistes et artisans, dans une joie de la rencontre que l’on ne rencontre plus souvent. Ce que l’on constate avec cette exposition collective et thématique. Mais aussi parce que ce sont des chaises. Si on les considère comme de simples supports fonctionnels, on ne verra rien. Il faut les scruter, et jouer aux chaises musicales.

La pionnière Elisabeth Garouste, qui fut une « barbare » dans les années 80, nous fait trôner sur la géométrique Mondrian (métal et bois laqué) ou sur la Sun plus organique (métal forgé) noir : deux nouvelles relectures, entre rigueur et fantaisie postmoderne. On se tiendra plus raide sur le banc Corniche de Sam Baron, (bois brûlé et laiton), comme sur un morceau d’architecture détourné qui nous entraine dans l’espace. Le tabouret Rump (croupe) de Vincent Breed, est en verre (farceur), son assise est une ode joyeuse au sexe féminin. Matali Crasset nous emmène-t-elle dans sa Champagne rurale natale, avec son siège De Campagne en frêne, et sa galette de feutre rouge un peu folklo ? Non dans la Meuse, où elle a travaillé avec le tourneur Philippe Huet. On l’installe au coin du feu. À côté, on verrait bien les deux élémentaires tabourets Vacher (chêne), d’Elise Foin. Philippe Daney voudrait nous faire retourner à l’école, avec sa chaise archétypale des salles de classes d’antan ; mais en la retraitant en métal, bois moulé et toute argentée, il l’isole, la met sur un piédestal qui reflète nos souvenirs : il l’a nommée Tous seuls. Le dossier rigolo de Diabolos semble en suspens, s’échapper ; en testant cette assise à surprise de Vincent Dupont-Rougier, on se rend compte qu’il est en caoutchouc, si souple, que le dos s’y détend sans contraintes rigides. Simple comme un idéogramme japonais, mais complexe comme une spirale, la Montenasu de Jean-Baptiste Sibertin-Blanc joue la prouesse, dans un esprit métier d’art nippon. Dine montre qu’Éric Jourdan sait mettre autant d’élégante courbe dans le métal que le bois, sans anecdote. Fidèle à ses inspirations végétales, Patrick Nadeau fait s’épanouir un petit divan, Lianas (rotin, fil de métal), léger comme une corolle. Avec 141-New Beginnings, la jeune artiste Ann Grim hybride banc et chaise noirs (Douglas brûlé, brossé, gravé et vernis), mi rupestre mi trouble, pour commencer à discuter sérieusement des indispensables nouveaux départs du monde. Bref se lever le cul de nos chaises.

Minimales ou expressives, voyageuses ou messagères, solitaire ou collectives, ces chaises confidentes servent souvent à converser, mais sont elles-mêmes très bavardes : sur leur auteurs, leurs desseins, leurs doutes ; surtout sur nos réminiscences.

Anne-Marie Fèvre
Guide

Exposition « seating@granvillegallery », Granville Gallery, 23, rue du Départ, 75014 Paris. Jusqu’au 22 mars 2019.

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