Le naufrage artistique de Mia Madre, de Nanni Moretti, me semble un cas d’école du danger qui guette, et engloutit, nombre d’artistes que nous avons pu aimer à leurs débuts et qu’un accueil critique laudateur et/ou des prix prestigieux semblent avoir fait dévier de leurs trajectoires. Dans le nouveau film du cinéaste italien se trouvent conjuguées toutes les prétentions de l’auteur qui se pense sur les hauteurs de son art. Sur un scénario inconsistant et tire-larmes viennent se greffer des performances d’acteur pénibles, que ce soit le cabotinage de John Turturo ou la fausse humilité du Moretti-acteur, des choix musicaux éculés (qu’on interdise Arvo Pärt dans les bandes-originales, par pitié !) et des choix de montage incompréhensibles. Mais force est de constater que l’accueil critique est encore une fois dithyrambique, certains n’hésitant pas à écrire qu’il s’agit là du meilleur film de Nanni Moretti.
Dans la même veine, Le Pont des espions de Steven Spielberg propose une nouvelle fois de s’émerveiller sur la grandeur d’un Américain moyen et sur la force éthique incomparable de la Constitution des États-Unis, qui ne cesse de sauver le monde depuis sa promulgation. Que la mise en scène habile de l’Américain soit au service de pareille propagande ne semble pas, là encore, déranger grand monde, et on loue à longueurs de colonnes le merveilleux classicisme du cinéaste.
Mais pareille déconvenue se retrouve dans d’autres disciplines. Les librairies sont en effet pleines d’ouvrages dont les auteurs pensent pouvoir se comparer à Flaubert, à Salinger, à Duras ou à Faulkner. Elles et ils ne se reconnaîtront pas dans ces lignes, mais je fais confiance à la sagacité des lecteurs. On peut tout de même citer le cas de Boualem Sansal, auteur dont je recommande très chaleureusement l’édition de plusieurs romans en Quarto, chez Gallimard, mais qui, avec 2084, s’est pris au piège d’un sujet si grand qu’il peine à nous y faire plonger, sa phrase se faisant aussi lourde que son récit d’anticipation utilise de trop grosses ficelles.
La sortie en DVD de la mise en scène de Tannhaüser de Wagner par Sasha Waltz donne un autre exemple d’une artiste de grand talent qui se fourvoie dans son art, en voulant faire danser, outre sa troupe de danseurs, chœurs et solistes de cette production filmée à Berlin. Mais Wagner lui-même mettait déjà en garde contre la simple addition de différentes formes d’expression artistique qui au final s’annulent. Si la musique, merveilleusement dirigée par Daniel Barenboim, sauve cette captation, on est plutôt tenté de fermer les yeux devant la volonté de plaquer une chorégraphie peu inspirée sur le livret wagnérien. Sasha Waltz elle-même, semble-t-il, aurait reconnu son erreur. Le fait est si rare qu’en cela on voit qu’elle reste une grande artiste.
Arnaud Laporte
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