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« Hey!#4 », l’art de s’émouvoir
| 24 Mar 2019

Du stylo, de la mosaïque, des perles… Il n’y a qu’à voir les matériaux, variés, inattendus – et également les techniques, plurielles, pour comprendre pourquoi ce quatrième opus de « Hey! modern art & pop culture » se tient à nouveau à la Halle Saint-Pierre à Paris jusqu’au 2 août. Les œuvres montrées par Anne & Julien ne sont en effet pas loin de l’art brut qui traditionnellement réside ici, au pied du Sacré-Cœur.

Trônes de capsules

Untitled (c.1940-1950), de Henry Darger. Coll. Robert A. Roth

On peut d’ailleurs commencer la visite au rez-de-chaussée, par l’exposition consacrée à « Chicago, foyer d’art brut ». On y voit le travail de dix artistes en lien avec la scène locale – dont les trônes de capsules de Mr Imagination et le classique et néanmoins bouleversant Henry Darger (ci-contre) et ses tableaux mettant en scène des jeunes filles en lutte pour libérer des enfants de l’esclavage.

La ville est nécessairement très montrée dans sa démesure, notamment via les neuf vues de buildings au stylo-bille de Wesley Willis, colossal travail, mais goutte d’eau dans l’ensemble de l’œuvre de cet artiste qui compte plusieurs milliers de pièces.

Posture et métadiscours

À l’étage, on retrouve donc, sous le commissariat de Anne & Julien, une proposition positionnée en dehors des conventions traditionnelles du marché de l’art : des artistes à la marge qu’on ne verra pas dans la posture ou le métadiscours. Ici l’artiste a quelque chose à exprimer, et comme dans l’art brut de Chicago ou d’ailleurs, on perçoit derrière la plupart de ses œuvres des obsessions, de vieilles douleurs installées – l’art en tant que bouée.

Pac-Man (2017) de Filip Hodas

Pac-Man (2017) de Filip Hodas

« Hey!#4 » peut s’envisager comme un parcours au sein d’une humanité aux reliefs et aux formes variées. On y voit des symboles de la pop culture dans la vision post-apocalyptique de Filip Hodas, le squelette d’une femme tout en tissu et pierres précieuses inspiré du folk art mexicain (Nathalie Verdon), la guerre dans les représentations minutieuses de l’Américain Kris Kuksi ou la Française Brigitte Lajoinie.

Cette pluralité partage une même essence : l’expression d’émotions sans posing, sans intention autre que de faire. Dans une époque dont le mantra serait « la valeur travail », les œuvres de ces self taught artists (pour la plupart) transpirent les heures passées sur un même geste, les échecs qu’il a fallu dépasser seul. Pour s’en convaincre, on peut s’absorber dans les mosaïques de Séverine Gambier, composées de minuscules pièces qu’il a fallu travailler, choisir, assembler. Ou encore dans la Cène revue au stylo-bille par Mad Meg. Cette dernière œuvre a ceci de fascinant qu’elle décline un ensemble de critiques (patriarcat, pouvoir de l’argent, société de consommation, etc.) dans une orchestration à la fois ultra précise et organique. Les treize à table ont des têtes d’insectes ; leurs mains, masculines et puissantes, fascinent autant qu’elles effraient, et il semble que rien ne saurait échapper à cette assemblée qui pourrait aussi bien être un conseil d’administration ou un repas de mafieux. 

Stéphanie Estournet
Arts plastiques

« Chicago, foyer d’art brut » et « Hey!#4 modern art & pop culture », à la Halle Saint-Pierre (75018), jusqu’au 2 août.

Imperial Fowl (2013) de Kris Kuksi

Imperial Fowl (2013) de Kris Kuksi

 

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