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Aux Hivernales, une mécanique bien huilée
| 22 Fév 2017

En ouverture du Festival Les Hivernales d’Avignon, 39e édition, le spectacle La Mécanique des ombres de NaïF Production s’est imposé par sa troublante beauté et son étrangeté. Artistes associés depuis septembre 2016 et pour 3 ans au Centre de Développement Chorégraphique d’Avignon (CDC), Sylvain Bouillet et Mathieu Desseigne accompagnés de Lucien Reynès, tous les trois acrobates-danseurs signent un trio parfaitement écrit et rythmé. Avec pour seul décor, des lignes blanches pour cadrer le plateau, ils parviennent à nous faire traverser bien des frontières, celles relatives à l’identité, celles de l’équilibre et celles des disciplines artistiques. Ici cirque et danse ne font plus qu’un.

La Mécanique des ombres - NaïF Production © Laurent Onde

La Mécanique des ombres © Laurent Onde

En simples jeans et sweats à capuche, identiques, ils sont confondus. On ne voit que les mains et les pieds blancs car leur visage est masqué par un voile noir. Ce sont des noirs à pieds blancs qui se livrent à une gymnastique continue où l’absence momentanée de l’un ou l’autre pourrait faire s’effondrer l’équilibre complice entre les trois. Sollicitant à l’extrême les articulations, la danse est faite de chutes, de gestes réflexes et nerveux, de désaxements, d’arrêts brutaux sur une image, de babillages dans les mains lorsqu’elle n’est pas traversée par une fulgurante acrobatie.

Il y a toujours une menace qui plane, comme dans ces jeux enfantins et cruels faits pour exclure : un, deux, trois, soleil, chat perché ou les chaises musicales. D’ailleurs, lorsque deux d’entre eux font corps, l’autre se retrouve totalement isolé, tendant un bras pour une aide qui ne viendra pas. Ou inversement, les trois se regroupent dans un amas de corps indéchiffrable jusqu’à une danse folklorique où la petite communauté masculine se serre les coudes. La Mécanique des ombres parfaitement huilée parle de cette possible entente entre les êtres sans pour autant qu’ils soient fichés. La création sonore de Christophe Ruetsch et la lumière de Pauline Guyonnet participent à souhait à ce trio qui se permet même quelques drôleries.

C’est dans d’autres tonalités que se poursuivent les Hivernales. Créés début février à la Conciergerie de Paris, dans le cadre de Monuments en Mouvement et du Festival Faits D’hiver, les Fragments mobiles d’Yvan Alexandre se sont déployés dans la monumentale salle de la Grande Audience du Palais des papes. Dans cet espace dont il a fallu dompter l’acoustique aux multiples échos, habité par la présence humaine chaude de 11 danseurs contrastant avec la froideur de la pierre, cet impromptu chorégraphique fait de courses franches, de chutes un peu intéressantes et de quelques délicatesses entre les interprètes, prend corps au fur et à mesure de la représentation. Progressivement, alors que le corps est sollicité par la dépense d’énergie et par la fatigue, ces Fragments mobiles tout d’abord dispersés se rassemblent dans une fresque étirée.

Amala Dianor, De(s)génération © Le poulpe

De(s)génération © Le poulpe

Tout autre propos encore avec la pièce d’Amala Dianor pour cette 39e édition qui remplit les salles avec un public mixte qui confond les âges, les origines sociales et géographiques. Avec De(s)genération, le danseur et chorégraphe hip hop d’origine sénégalaise, qui a suivi une formation au CNDC d’Angers avant d’être interprète remarqué dans plusieurs compagnies françaises, convie des hip hopers de différents âges. Cette pièce, qui s’appuie sur la personnalité, la technique de chacun d’entre eux, met en scène, non sans humour, la notion de défi commune à tout le milieu hip hop et la nécessité de la transmission directe pour préserver les valeurs et les figures de base du genre. La new school rivalise joyeusement avec la old school. Les anciens ne s’avouent jamais vaincus et l’emportent dans un trio jubilatoire qui réunit Gabin Nuissier, Brahim Bouchelaghem et Mathias Rassin. Sandrine Lescourant et Link Berthomieux leur répondent dans un duo délié et pieds nus alors que Admir Mirena apporte l’énergie directe des battles. Les six « passent passent » le mouvement, le transmettent d’un corps à l’autre dans un apparent désordre que le chorégraphe parvient à maîtriser malgré la liberté dont chacun dispose ici. Une belle leçon de hip hop avec des interprètes qui, jeunes ou moins (Gabin Nuissier a 50 ans), trouvent leur place et ne la laisseraient sous aucun prétexte.

Marie-Christine Vernay
Danse

Les Hivernales, Avignon, 04 90 89 41 70, jusqu’au 25 février

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