La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Italie-Suède : ou comment consoler le supporteur lorsqu’il est suédois
| 19 Juin 2016

Il y a quelque chose de malsain et de quasi névrotique dans la fascination des Suédois pour le foot. Si cela continue, les mâles du pays vont sombrer dans une dépression chronique consécutive à des déceptions sans cesse renouvelées.

D’où vient cet intérêt ? Du souvenir de la finale perdue à domicile contre le Brésil en Coupe du monde en 1958 ou de la troisième place en 1994 ? Les hommes suédois, dès qu’ils parlent de ballon, entonnent ensuite des chansons en l’honneur de ces matchs. Il semblerait qu’il y ait, quelque part dans l’inconscient collectif, l’idée que les miracles vont se répéter. Dans les tribunes du stade, à Toulouse, les Suédois représentaient deux tiers du public et leurs t-shirts jaunes éclaboussaient de lumière le chœur des fans hurlant l’hymne national durant toute la rencontre. C’était comme si l’ancien roi Charles XII allait revenir à cheval pour reconquérir l’Europe. Sauf qu’il est mort, les gars ! Et ses conquêtes n’étaient que peau de chagrin… Essayez d’accepter que nous sommes 9,5 millions et que les autres sont 76 fois plus nombreux que nous. Nous ne constituons même pas 2 % du continent.

Ça m’a fendu le cœur de voir à la télé les supporteurs, après le match nul contre l’Irlande. Des gamins avec des chapeaux de cowboy étaient en larmes. Des hommes mornes, éteints, tenaient leurs bières d’une main, avec leurs gros ventre et leurs casques de viking. Ça donnait envie de les prendre dans ses bras pour les réconforter.

Ils devraient pourtant bien être capables d’envisager la défaite ?! Et où est la satisfaction de gagner son premier point en coupe d’Europe quand c’est grâce à un but contre son camp ? Comment est-il possible que tous ces grands enfants naïfs croient que Zlatan va l’emporter seul contre l’une des meilleures équipes d’Europe ? Les italiens ne sont pas des cons, ils se sont acharnés sur lui pour le neutraliser en faisant du même coup sombrer les espoirs déraisonnables des Suédois. Zlatan, d’ailleurs, est un vrai casse-tête pour l’extrême droite nationale. Alors que ses parents viennent de Yougoslavie, il est né et a grandi en Suède. Sa femme, et mère de ses enfants, est suédoise. Le meilleur joueur du pays de tout les temps, selon notre équivalent local de Marine le Pen, n’est “pas suédois”.

Pour celui qui s’intéresse particulièrement au sport, le match d’hier était une vraie purge. Aucun tir cadré, même si, vers la fin, ils couraient comme des fous. Pourquoi est-ce que je ne regardais pas plutôt un film, ou que je n’allais pas faire un longue promenade avec le chien ? J’ai cependant trouvé une chose qui pourrait soulager les supporteurs affligés. Oui, il y a de l’espoir pour eux. Un grand espoir ! Vous vous souvenez de qui a gagné la coupe d’Europe en 1984 ? Ou de qui a pris la troisième place de la coupe du monde en 1991 ? Eh bien, la Suède ! Si vous ne le saviez pas c’est parce que, dans votre ignorance, vous n’avez pas pris en compte l’équipe des dames. Il est là, l’espoir du pays !

Parier sur les femmes a beaucoup plus d’avenir alors qu’elles restent interdites de stade dans de nombreux pays et qu’il est considéré dans plusieurs autres comme efféminé de jouer au foot. En Suède, elles sont un tiers de tous ceux qui poussent le ballon. Les jeunes filles adorent et c’est le deuxième sport le plus populaire chez elles. Voilà les vainqueurs de demain !

En fait, j’ai un conseil pour les footballeurs ! Pourquoi ne pas apprendre un haka du tonnerre, cette danse guerrière pratiquée par les équipes de rugby de l’océan pacifique ? Dans cet exercice grandiose, les joueurs poussent des cris et lèvent les yeux au ciel tout en tirant la langue pour déstabiliser l’adversaire et se galvaniser. Ce que j’adorerais voir, c’est notre équipe féminine, en train de s’approcher d’un groupe d’Américaines massives, en poussant des cris de guerre et en tirant la langue pour les terroriser.

En attendant, le foot reste le symbole d’une société sexiste. Ce ne sont que des hommes qui regardent d’autres hommes, dans des stades faits pour les hommes, pendant que les médias font des reportages sur les hommes.

Afin de populariser le foot féminin, l’ancien président de la Fifa, Sepp Blatter, avait proposé que les joueuses portent des vêtements sexy, et des footballeuses russes avaient même, en 2011, joué en bikini pour promouvoir leur équipe. Franchement, si les hommes se mettaient à s’habiller comme des athlètes de la Grèce antique, donc s’ils se mettaient à poil, avec un peu d’huile pour souligner les muscles, ça ferait stade comble. Les mecs pourraient aussi porter des rosettes autour de la bite, aux couleurs de leurs pays respectifs, afin que l’on puisse les distinguer les uns des autres. Dans un tel monde, même moi je serais dans la tribune, en train de pousser des cris d’encouragement, et aucun match ne serait plus jamais aussi pénible que celui entre la Suède et l’Italie de ce jour.

Katarina Mazetti
Traduit du suédois par Viktor Örberg

Journaliste et écrivaine suédoise, Katarina Mazetti, est également critique littéraire, auteur de chansons, de comédies et de chroniques pour la radio et les journaux. Son roman, Le Mec de la tombe d’à côté, publié en France par les Éditions Gaïa, a été un succès mondial traduit en 22 langues et adapté au théâtre comme au cinéma.

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Drone de drame (ou presque)

L’arbitrage du Mondial devait être assisté par des drones qui, grâce à un ingénieux système que nous ne détaillerons pas ici (trop technique pour nos lectrices), suivraient au plus près tous les déplacements des ballons. D’autres suivraient les joueurs qui profiteraient d’être loin du cœur de l’action pour préparer un mauvais coup.

Ailleurs l’herbe est plus jaune

Depuis quelques mois, on ne parle que des à-côtés du mondial du Qatar. Pots-de-vin, esclavage, chantiers mortels, catastrophe écologique à tous les étages  et diverses autres broutilles collatérales que nous passerons sous silence. Bizarrement, on a peu souligné le fait que tous les matchs se joueront… sur du sable.

J38 – Ecce homo

En cette dernière journée de la saison, une question demeure : pourquoi une telle popularité du football ? Parce que le supporteur s’y reconnaît mieux que dans n’importe quel autre sport. Assurément, le football est le sport le plus humain. Trop humain. Le football est un miroir où le supporteur contemple son propre portrait. Le spectateur se regarde lui-même. Pas comme Méduse qui se pétrifie elle-même à la vue de son reflet dans le bouclier que lui tend Persée. Au contraire, c’est Narcisse tombé amoureux de son propre visage à la surface de l’eau. (Lire l’article)

J35 – Le bien et le mal

Ses détracteurs comparent souvent le football à une religion. Le terme est péjoratif pour les athées, les croyants moquent une telle prétention, et pourtant certains supporteurs revendiquent la métaphore. Le ballon leur est une divinité aux rebonds impénétrables et le stade une cathédrale où ils communient en reprenant en chœur des alléluias profanes. Selon une enquête réalisée en 2104 aux États-Unis, les amateurs de sport sont plus croyants que le reste de la population. Les liens entre sport et religion sont nombreux : superstition, déification des sportifs, sens du sacré, communautarisme, pratique de la foi… Mais surtout, football et religion ont en commun de dépeindre un monde manichéen. (Lire l’article)

J34 – L’opium du peuple

Devant son écran, le supporteur hésite. Soirée électorale ou Lyon-Monaco ? Voire, le clásico Madrid-Barcelone ? Il se sent coupable, la voix de la raison martèle ses arguments. À la différence des précédents, le scrutin est serré, quatre candidats pourraient passer au second tour. D’accord, mais après quatre saisons dominées par le Paris Saint-Germain, la Ligue 1 offre enfin un peu de suspense… Dilemme. Alors, le supporteur décide de zapper d’une chaîne à l’autre, un peu honteux. Le football est l’opium du peuple, et il se sait dépendant… (Lire l’article)