La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Ivo van Hove, miroirs troubles
| 20 Juil 2018

Coup de vieux dans la cour du Lycée Saint-Joseph. Les plus âgés ont dépassé les 90 ans, leurs enfants sont septuagénaires et les jeunes mariés ont autour de 40 ans. Le metteur en scène Ivo van Hove adapteVieilles gens et choses qui passent, un roman de Louis Couperus (1863-1923), figure des lettres néerlandaises et du roman naturaliste, méconnu en France. La scénographie est un jeu de reflets : un grand miroir en fond de scène renvoie aux spectateurs leur propre image sur les gradins ; et les acteurs, disposés en vis-à-vis de chaque côté de cette même scène, sont aussi des reflets les uns des autres – les personnages qu’ils interprètent ayant par ailleurs tous des liens de parenté. De part et d’autre du plateau, des vitres aussi, avec tracées à la peinture blanche des esquisses évoquant des masques de carnaval de James Ensor, contemporain de Couperus.

Costumes noirs et lumières sombres, l’obscurité règne sur les cœurs et les consciences, comme si le trio de vieillards qui mène cette drôle de danse avait contaminé les générations suivantes, les entraînant avec eux, quel que soit leur âge, aux portes de la mort. Vies malheureuses, gâchées, ralenties, le temps qui passe est du temps qui pèse et l’horloge qui bat au centre de la scène évoque moins le compte à rebours que la malédiction éternelle.

Cela pourrait être sinistre et c’est étrangement harmonieux, parce qu’Ivo van Hove et ses acteurs allègent, s’amusent, s’écoutent, sont attentifs au rythme, jouent une partition plus qu’un rôle, donnent de la vitalité à ce bal de morts vivants.

Derrière tout cela, un secret de famille dévastateur : un crime passionnel, jamais avoué, jamais jugé, mais dont le poids a tout écrasé et pour longtemps. L’ombre du meurtre, chacun la porte sur son visage, mais Ivo van Hove choisit de mettre aussi en scène l’ombre du plaisir. Les « jeunes mariés », en voyage de noces sur les bords de la Méditerranée, s’envoient en l’air dans une scène dont la crudité – corps dénudés et giclées de crème chantilly – est à l’opposé de tout le reste, jeu de miroir là encore, mais entre Eros et Thanatos.

L’intelligence et le brio de cette mise en scène ne font pas de doute. Pas certain pourtant que l’on soit au niveau de The fountainhead, l’adaptation par Ivo van Hove du roman d’Ayn Rand présentée au festival d’Avignon 2014. Dérangeante, passionnante, l’envergure politique et littéraire du roman de l’une des icônes de la nouvelle droite américaine ne faisait pas de doute, et le spectacle d’Ivo van Hove était porté par la puissance de l’œuvre originale. Pour Les choses qui passent, c’est moins clair, comme si la mise en scène était plus le reflet d’elle même que du texte dont elle s’empare. Soupçon injustifié ?

René Solis
Théâtre

De Dingen die voorbijgaan (Les choses qui passent) d’après Louis Couperus, spectacle en néerlandais surtitré, Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph, jusqu’au 21 juillet 2018.
Photos © Christophe Raynaud de Lage

0 commentaires

Dans la même catégorie

Bernardines, suite et pas fin

Directeur du théâtre des Bernardines à Marseille de 1987 à 2015, Alain Fourneau travaille à la réalisation d’un « livre-outil » à partir de l’histoire d’un lieu majeur pour le théâtre d’essai en Europe.

Kelly Rivière remonte à la source

À partir d’un secret de famille (un grand-père irlandais disparu dont personne ne veut parler), Kelly Rivière, seule en scène, offre une hilarante pièce intime solidement construite. Dans sa quête des origines, elle passe sans cesse d’une langue à l’autre, jusqu’à brouiller les repères, comme si les barrières linguistiques étaient emportées par le flux de son histoire. Une incertitude linguistique qui fait écho aux incertitudes d’un final qui laisse beaucoup plus de questions que de réponses.

Jon Fosse ou la musique du silence

Si Shakespeare utilise dans son oeuvre un vocabulaire de 20.000 mots là où Racine n’en a que 2000, Fosse, lui, tournerait plutôt autour de 200. Une décroissance qui n’est pas un appauvrissement: comme ses personnages, la langue de Fosse est en retrait, en grève du brouhaha et de l’agitation du monde.

Montévidéo dans l’impasse

Drôle de dernière semaine au festival Actoral fondé par Hubert Colas en 2001 à Marseille. Dans la salle de Montévidéo, la performance de Grand Magasin, programmée samedi 14 octobre à 21h et intitulée “Comment commencer”, pourrait bien se transformer en “Comment finir”.

L’arbre à sang: traduire à l’oreille

Sur la scène des Plateaux Sauvages, trois actrices interprètent L’Arbre à sang, de l’auteur australien Angus Cerini, dans une mise en scène de Tommy Milliot. Entretien avec Dominique Hollier, l’une des trois comédiennes, mais aussi la traductrice de la pièce.