La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

J15 – Dramaturgie du grand méchant
| 02 Déc 2015

“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.

N’importe quel apprenti scénariste le sait : pour écrire une bonne histoire, il faut un bon méchant. Attribuée parfois à Alfred Hitchcock, la sentence vaut-elle pour le football ? La dramaturgie de l’actuelle saison de Ligue 1 réunit toutes les conditions pour le savoir, tant le méchant n’a jamais été aussi fort… ni aussi méchant. Au vu des treize points d’avance du Paris Saint-Germain sur son premier poursuivant, de ses treize victoires en quinze matchs pour aucune défaite, de ses trente-sept buts marqués, la première de ces affirmations ne se discute pas ; quant à la seconde, le statut de club le plus détesté de France selon les sondages suffirait à la justifier, si Michel, l’entraîneur du rival marseillais, n’avait récemment imaginé une métaphore plus parlante : cette saison, le PSG est un requin au milieu des dauphins !

Bien avant de régner sans partage sur le championnat de France, le PSG suscitait les animosités. Club de la capitale dans un pays qui vit mal son excès de centralisation, né tard et riche sous les paillettes du show-business, il faisait figure de parvenu, d’enfant gâté. La violence de ses ultras n’arrangeait rien. Le pays réel ne s’y reconnaissait pas, on l’associait aux frasques de ses supporters VIP, animateurs télé cocaïnés et hommes politiques en détresse médiatique. 

Avec les bons résultats vint la jalousie. On accuse le PSG de faire perdre son intérêt à la Ligue 1, de tuer le suspense. Ses prétentions européennes et un soupçon de mépris pour le championnat domestique accréditent les clichés. L’arrogance dont on le taxait souvent à tort, sur la base d’un anti-parisianisme bien français, a fini par s’incarner dans Zlatan, tandis qu’un ancien président de la République auto-proclamé premier supporter exhibe son impopularité et sa Rolex dans la tribune présidentielle du Parc des Princes.

Et pour couronner le tout, il y a le Qatar. On ne parle plus seulement de sport mais de politique, d’économie, d’idéologie. Là, le méchant entre dans une autre dimension. C’est le super-vilain des films de super-héros, le boss de fin de niveau des jeux vidéo, l’archi-ennemi pour donner dans l’anglicisme : le grand méchant loup, l’ennemi juré, le mal absolu. Les joueurs du PSG n’y sont pour rien, le football non plus, mais l’ombre du Qatar et de ceux qu’il a financés plane sur la Ligue 1, et dans le contexte actuel, alors qu’on questionne les liens diplomatiques de la France avec les monarchies du Golfe, l’image du PSG ne peut pas ne pas en être affectée. 

Pour toutes ces raisons – et pour revenir au sport –, le méchant de Ligue 1 n’a jamais été aussi méchant, symboliquement parlant. Il n’y a pas à s’en réjouir, c’est ainsi. Pour l’heure, il écrase le championnat, il fait régner sa loi, rarement une équipe a-t-elle concentré autant de talents sur les pelouses françaises. Troyes en a fait les frais (4-1) ce week-end, deux semaines après Toulouse (5-0). Mais dans une bonne histoire, le méchant finit toujours par faire se lever les gentils, des héros, et pour la prochaine journée, le PSG affronte Angers, le promu, qui partage le podium. Toutes les conditions dramaturgiques sont donc réunies, l’avenir dira ce que vaut le scénario de la Ligue 1 cette saison…

Sébastien Rutés
Footbologies

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Drone de drame (ou presque)

L’arbitrage du Mondial devait être assisté par des drones qui, grâce à un ingénieux système que nous ne détaillerons pas ici (trop technique pour nos lectrices), suivraient au plus près tous les déplacements des ballons. D’autres suivraient les joueurs qui profiteraient d’être loin du cœur de l’action pour préparer un mauvais coup.

Ailleurs l’herbe est plus jaune

Depuis quelques mois, on ne parle que des à-côtés du mondial du Qatar. Pots-de-vin, esclavage, chantiers mortels, catastrophe écologique à tous les étages  et diverses autres broutilles collatérales que nous passerons sous silence. Bizarrement, on a peu souligné le fait que tous les matchs se joueront… sur du sable.

J38 – Ecce homo

En cette dernière journée de la saison, une question demeure : pourquoi une telle popularité du football ? Parce que le supporteur s’y reconnaît mieux que dans n’importe quel autre sport. Assurément, le football est le sport le plus humain. Trop humain. Le football est un miroir où le supporteur contemple son propre portrait. Le spectateur se regarde lui-même. Pas comme Méduse qui se pétrifie elle-même à la vue de son reflet dans le bouclier que lui tend Persée. Au contraire, c’est Narcisse tombé amoureux de son propre visage à la surface de l’eau. (Lire l’article)

J35 – Le bien et le mal

Ses détracteurs comparent souvent le football à une religion. Le terme est péjoratif pour les athées, les croyants moquent une telle prétention, et pourtant certains supporteurs revendiquent la métaphore. Le ballon leur est une divinité aux rebonds impénétrables et le stade une cathédrale où ils communient en reprenant en chœur des alléluias profanes. Selon une enquête réalisée en 2104 aux États-Unis, les amateurs de sport sont plus croyants que le reste de la population. Les liens entre sport et religion sont nombreux : superstition, déification des sportifs, sens du sacré, communautarisme, pratique de la foi… Mais surtout, football et religion ont en commun de dépeindre un monde manichéen. (Lire l’article)

J34 – L’opium du peuple

Devant son écran, le supporteur hésite. Soirée électorale ou Lyon-Monaco ? Voire, le clásico Madrid-Barcelone ? Il se sent coupable, la voix de la raison martèle ses arguments. À la différence des précédents, le scrutin est serré, quatre candidats pourraient passer au second tour. D’accord, mais après quatre saisons dominées par le Paris Saint-Germain, la Ligue 1 offre enfin un peu de suspense… Dilemme. Alors, le supporteur décide de zapper d’une chaîne à l’autre, un peu honteux. Le football est l’opium du peuple, et il se sait dépendant… (Lire l’article)