La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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La hargne de l’anoure des piscines
| 02 Oct 2015

Chanson de gestes –oubliés, mis au rebut, injurieux, réprimés, automatiques, de séduction– lexique muet qui dit nos nouvelles manies, nos censures corporelles, nos abandons, nos égarements…

Afin de ne pas oublier tout à fait les joies estivales d’un bain de mer, on se rend à la piscine municipale. On plonge tranquillement pour dénouer un corps qui s’est déjà replié pour s’encastrer dans les rames de métro de la ligne 13. On allonge les jambes, on bat des pieds pour libérer les chevilles. À peine quelques brasses coulées et voici que l’on croise un anoure des piscines d’un autre genre. Une énorme tête sort de l’eau pour aspirer tout l’oxygène de l’espace aquatique dévolu à tous. Puis, l’égoïste batracien replonge dans un tourbillon d’eau sans même avoir remarqué notre existence. On poursuit donc la navigation quand brusquement, un coup de sa méchante patte nous colle contre la paroi du bassin, nous garantissant un bel hématome sur la cuisse, dans des tons bleu violacé. Qu’à cela ne tienne, on change de couloir.

On reprend la nage, confiante, décontractée. Ce n’est pas la mer, le chlore a remplacé le sel mais on s’en accommode, on oserait même un dos crawlé. Mais alors même qu’on y songe, un autre anoure peu ragoûtant, du type bufo bufo, surgit des flots. Il fonce vers nous, les yeux exorbités, la langue perfide. Il est curieusement déguisé, ses pieds sont palmés et ses mains tiennent de curieux objets prêts à nous frapper. Et là, face à face avec l’immonde, on entend un hurlement : “T’as pas vu, connasse, le couloir, c’est pour ceux qui ont des équipements !” Non, on n’avait pas vu. Mais face à la bête munie d’une musculature imposante bien que tout à fait inadaptée pour des jeux aquatiques et même pour la fonction de l’individu qui travaille dans un bureau à la mairie, on se replie.

Direction le bassin pour enfants car on ne saurait abandonner la partie. On respire avant de s’allonger sur l’eau pour simplement flotter. Mais avant même d’avoir pu se laisser aller, un projectile nous atteint violemment dans les reins. C’était le fils du bufo bufo lancé à grande allure. Par malchance, on tournait le dos au toboggan. Dépitée, blessée, il ne nous reste  plus qu’à gagner les vestiaires. Le lendemain, on s’inscrit au club de gym pour des cours accélérés de musculation, on s’équipe de toutes les prothèses nécessaires pour ressembler à la nouvelle bête des piscines et on aiguise nos injures. Un jour, hélas révolu, il fut bon de glisser sur l’eau sans y mettre aucune force, de patauger comme nos ancêtres lors des congés payés.

Aujourd’hui, sous notre bonnet peu seyant qui ne manque pas de nous arracher les cheveux, il nous faut lutter car l’enjeu est de taille. Le bufo bufo qui n’appartient pourtant pas à l’équipe de France doit battre son record. Pour preuve, il possède à son poignet une montre qui le rappelle à l’ordre lorsque son rythme faiblit. Il brasse, il brasse à l’aveugle, quitte à écraser les grenouilles dilettantes. Face à un tel déploiement de force, il ne nous reste plus qu’à entrer dans un scaphandre et à nager sous la bête, en la chatouillant par en-dessous en des endroits stratégiques pour lui faire perdre ses précieux centièmes de seconde. Cette feinte a pour nom le chant des sirènes.

Marie-Christine Vernay

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