Courrier de Léa Lefol de la Rémige à Juliette Keating
Salut Juju,
Il est bien mignon ton Mignon (LOL), mais aucune notice ou indication sur le Savacou Huppé ! Ses naturalistes d’opérette seraient restés cois devant le bel emplumé ? Pour satisfaire notre curiosité, on doit se contenter d’un unique dessin, assez précis, mais où il manque l’essentiel : la couleur. Et il ose demander à des coloristes amateurs, et bénévoles de surcroît, de finir le boulot des ornithologues à perruques !
Il se trouve que le Savacou Huppé était le dada de mon bisaïeul côté maternel. Accompagné d’un photographe qui maîtrisait le procédé de l’autochrome à la fécule de pomme de terre inventé par les frères Lumières, mon arrière grand père a traqué le dernier spécimen de Savacou Huppé jusqu’au fin fond de l’archipel de la Cinglinglin, sur l’île Licot. Les aventuriers du début de l’autre siècle ont pu photographier l’oiseau deux fois. Une première plaque de verre le montrait captif et posé sur une natte claire. Sur la seconde plaque, l’animal saisi sur le vif, s’ébattait dans son milieu naturel. Ils n’étaient pas peu fiers de détenir enfin une double preuve tangible de l’existence d’un dernier Savacou Huppé sur l’île Licot.
Malheureusement, trop chahutées par un grain aussi violent qu’imprévu, les deux plaques se sont brisées en mille miettes sur le navire qui ramenait nos amis vers la France, brisant du même coup le cœur de mon ancêtre qui ne s’en n’est jamais remis. Interné à Charenton pour sa funeste mélancolie, il passait ses journées à dessiner et redessiner son cher Savacou Huppé. Tu trouveras en pièce jointe ses dessins (en couleur !), correspondant aux plaques de verre et réalisés de mémoire, au début de sa maladie, quand la folie ne l’avait pas encore totalement dévoyé. « Imaginez que l’Éternel l’eût fait noir ! Que serait-il advenu de lui ? » Il allait par les couloirs de l’asile, exalté, répétant la question à tous et à chacun, sans espérer nulle réponse. Depuis longtemps déjà, il ne reconnaissait plus mon arrière-grand-mère, sauf quand elle portait un certain bibi à plumes qui lui rappelait l’animal adoré.
J’espère que ces quelques indications permettront de mieux faire connaître les travaux de mon arrière grand-père, injustement méconnu.
Je t’embrasse.
Léa Lefol de la Rémige
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