La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 19 Déc 2017

Le monde est devenu fou… Pas de panique, il nous reste les livres.

Un titre de Paris Match, en décembre 2017 : « Johnny Hallyday: la naissance du mythe ». « À partir de 1960 – débute l’article –, Johnny Hallyday est entré dans la lumière. Pour ne plus jamais la quitter… La carrière de Johnny Hallyday peut donner le vertige ».

Le mythe, le vertige et la lumière… Et la prose d’un journal qu’on ne peut lire qu’une fois bien calé dans un fauteuil robuste, accrochez-vous bien les amis, on continue : « À l’époque, il est encore mineur et grâce à sa gueule d’ange et à son grain de voix unique conquis le cœur de toute une génération ». Là, forcément, on se dit que c’est drôle, tout de même, qu’un journal de ce tonneau ne maîtrise pas la conjugaison du verbe « conquérir », avec tous ces gens qui, article après article et semaine après semaine, y conquièrent la gloire, l’amour ou la fortune, parfois même les trois. Mais c’est vrai que la langue française, « c’est d’une grande complexité, entre les verbes, les pronoms… », comme le déclarait récemment avec une grande fraîcheur une représentante d’un grand syndicat d’enseignants. Quoi qu’il en soit, ces articles mal fagotés et ces mythes qu’on nous sert à tout bout de magazine, ça fatigue, on frôle l’indigestion quand les fêtes n’ont même pas vraiment commencé. Il faudrait d’autres mots, d’autres images, d’autres mythes aussi.

Et il existe des mythes qui n’entrent jamais véritablement dans la lumière, qui jamais ne feront la couverture de Paris Match. Je pense à l’un d’eux, là, dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler, qui vient d’un pays qui n’en manque pas, le pays des Gardel, Maradona, ou Evita : l’Argentine. Ces derniers, on les connaît. Mais qui, en Europe, connaît encore Simon Radowitzky ?

Le gars ne jouait pas au foot, ne chantait pas sur scène. C’était un révolutionnaire anarchiste. Né près de Kiev en 1891.

Une bande dessinée, sortie il y a peu, lui rend magnifiquement hommage : Matricule 155, Simon Radowitzky d’Agustín Comotto (dessin et scénario), chez Vertige Graphic, traduit de l’espagnol par Elsy Gomez.

Simon Radowitzky entre jeune à l’usine, à Kiev : « Certains […] commençaient à mettre en doute les règles. Et j’en faisais partie […] je ne voulais pas faire partie de l’engrenage ». « J’ai appris ce qu’est un contremaître et ce qu’est un mouchard. J’ai appris que les gens ne sont pas tous pareils ».

Contraint de fuir face à la police du Tsar, il part en Argentine, où il finit, en 1909, par lancer une bombe sur la voiture du chef de la police militaire qui avait réprimé dans le sang des manifestations ouvrières du 1er mai. Une légende est née, et ses 21 ans passés dans le pénitencier d’Ushuaïa, Terre de feu, l’installeront durablement dans la mémoire collective argentine.

Plus tard, il y aura l’Uruguay et le combat contre la dictature, l’Espagne républicaine, le camp de Saint-Cyprien en 1939, et puis le Mexique où il finira sa vie dans un anonymat presque complet.

« On peut donc vivre dans une prison qui est elle-même dans une autre prison, elle-même enfermée ? Combien de fois peut-on donc être emprisonné ? » : la vie tout entière de Simon Radowitzky est comme écrite en réponse à cette question.

Aux dessins en noir et blanc de l’Argentin Agustín Comotto, auteur également du scénario, se mêle parfois, saisissante, une traînée rouge. C’est l’histoire superbement racontée et dessinée d’un « anarchiste juif amoché et perdu au fin fond du monde ».

D’un mythe oublié.

Nathalie Peyrebonne
Le monde est devenu fou, chronique littéraire

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