La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Mont-de-Marsan, terra flamenca
| 06 Juil 2017

En créant il y a 29 ans le festival Arte Flamenco, Henri Emmanuelli et sa femme Antonia, fille de républicains espagnols, ignoraient sans doute que Mont-de-Marsan, une ville sans grand attrait particulier, allait devenir la deuxième patrie du flamenco, puro ou non, gitan ou non. Comptabilisant en 2016 6500 festivaliers [1], Arte Flamenco, porté par le Conseil départemental des Landes en partenariat avec la Ville, est pour les artistes un lieu de rendez-vous car ils ne font pas qu’y passer mais sont invités à y séjourner, à participer à des rencontres publiques, à y donner des stages et des master classes. Le plus étonnant est que la ville elle-même se transforme en un immense social club. Robes à pois et volants sont de mise pour un festival Off qui prend de l’ampleur et déborde dans la rue, à la terrasse des cafés et restaurants jusqu’à épuisement. Le festival des enfants s’étoffe également et il est plus qu’amusant de voir les fillettes se prendre pour des Carmen, fleurs dans les cheveux et éventail au poignet.

À cela qui est déjà beaucoup, il faut ajouter la programmation équilibrée concoctée par Sandrine Rabassa qui n’oublie rien des maîtres du genre tout en s’ouvrant aux nouveaux talents. Et pas des moindres. La jeune Patricia Guerrero (27 ans) a ébranlé le Café Cantante, une des quatre scènes spécialement aménagées pour la manifestation. Dans son récent spectacle Catedral, en collaboration avec le metteur en scène Juan Dolores Caballero, elle soulève le poids des contraintes religieuses et sociales pour libérer le corps de la femme. Tout d’abord enfermée dans les dogmes et dans son costume rigide et lourd, elle s’émancipe progressivement et ce n’est pas une mince affaire. Dans sa cathédrale imaginaire simplement et judicieusement suggérée par un lustre et des lumières qui gagnent sur l’obscurité, deux moinillons comme tout droit sortis d’un cartoon joués par des jumeaux, Diego Pérez, ténor, et Daniel Pérez, contre-ténor, deux personnages troublant interprètent des chants religieux alors même que la scène est également brillamment occupée par deux percussionnistes Agustín Diassera et David « Chupete ». Musicalement, c’est irréprochable, et l’alliance du flamenco – avec le chanteur José Ángel Carmona et le guitariste Juan Requena – et du lyrique est une belle surprise.

Patricia Guerrero, “Catedral”. Photo © Óscar Romero

Patricia Guerrero dans “Catedral”. Photo © Óscar Romero

Quant à la danse, elle est maîtresse des lieux. Patricia Guerrero est d’une impressionnante maturité. Danseuse complète, elle se transforme en une furie, cheveux lâchés sur une robe pourpre. Ses frappes sont cinglantes, son buste est souple, ouvre l’espace. Parfois, on pense à Martha Graham dans l’assise du bassin, dans la force pelvienne. Et les arrêts brutaux en équilibre sur une seule jambe sont à eux seuls des prouesses techniques. Patricia Guerrero se fait violence, s’obstine, revient à la charge comme si justement seule la violence pouvait libérer de la violence subie. Ce spectacle qui tient le public en haleine est profondément féminin et les trois danseuses qui accompagnent la chorégraphe – Maise Márquez, Ana Agraz et Mónica Iglesias – sont loin d’être un corps de ballet décoratif. Elles font partie des furies qui certainement auraient été elles aussi condamnées au bûcher.

Patricia Guerrero, “Catedral”. Photo © Óscar Romero

Catedral © Óscar Romero

Fait pour des grandes salles même si l’on a aimé le rapport de proximité créé dans le Cafe Cantante, Catedral est une lamentation furieuse qui se termine par La Mort de Didon de Henry Purcell se mêlant au flamenco.

Marie-Christine Vernay
Danse

[1] Une moyenne d’âge de 49 ans, une participation de 2 jours, une dépense moyenne de 118 euros par personne.

Arte Flamenco, Mont-de-Marsan, jusqu’au 8 juillet

 

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