La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 29 Mar 2017

“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.

Hier soir, François Fillon et sa conseillère en communication, Anne Méaux, dînaient chez Dumonet, rue du Cherche-Midi à Paris. Nous étions à la table à côté. Nous avons tout entendu.

– Anne, viens avec moi.

– Où ça ?

– À Guernesey.

– Où ça !?

– Guernesey. C’est une île qui …

– Merci, je connais. Tu veux partir en vacances juste avant le premier tour ?

– Non, je partirai juste après. Et pas en vacances : en exil. Ces élections, c’est foutu de chez foutu. Il faut préparer l’après. Nicolas va remettre la main sur le parti, Macron va faire sombrer le pays, les chômeurs vont piller les magasins, les fonctionnaires vont pendre les bourgeois, la France sera en faillite, l’Europe à feu et à sang. Je choisis l’exil pour appeler à la résistance et je veux que tous les combattants de la liberté m’y rejoignent, que tous les proscrits resserrent leurs rangs autour de moi. Nous allons préparer la lutte, Anne. Nous serons la voix de la France. C’est ce à quoi il faut s’atteler dès maintenant.

– Pourquoi pas ici ?

– À Paris, ce ne serait pas possible : je suis sur écoute, le cabinet noir de l’Elysée me traque à chaque instant, les juges rouges veulent ma peau. Et je n’ai plus un costume mettable, j’ai tout rendu. Viens.

– De Gaulle avait choisi Londres pour ce genre de virée et ce n’était pas idiot, tu sais : des tailleurs, il y en a plein sur Savile Row.

Victor Hugo en exil à Jersey (1853-1855)-Victor Hugo avait choisi Guernesey, et il y a tenu près de quinze ans.

– Tu as vu comment il se sapait ! Et à son retour, il n’a pas fait mieux que sénateur. Non, moi, à la rigueur, je veux bien te suivre à Londres, j’ai du shopping en retard, mais attention, pas plus de deux semaines.

– Ce sera Guernesey !

– Eh bien bonne chance, François. Tu vas te faire chier monstrueusement sur ton rocher. Qu’est-ce que tu vas faire si tu dois rester là-bas quinze ou vingt ans ?

– Je regarderai la mer en attendant que la France se libère du joug socialo-communiste. Mais ça ne va pas prendre vingt ans, crois-moi ; si Hugo avait eu un compte twitter, il aurait pu rentrer au bout d’un mois. De toute façon, je pourrai toujours compter sur quelques fidèles soutiens pour relayer mes idées sur le continent.

– Comme qui ?

– Euh… François Baroin, Valérie Pécresse.

– Tu ne seras pas sur le bateau que tous ces gens-là auront déjà retourné leur veste. Tu vas en prendre pour un siècle à Guernesey. Pourquoi pas Dieppe ? Ou le Touquet disons ?

– Le quoi ?

– Le Touquet. J’ai une maison là-bas, près du golf. Je peux te la prêter. Je viendrai te voir tous les week-ends, je le promets. Je suis très copine avec Brigitte Macron qui est presque une voisine. J’aurai plein d’infos sur son mec. Et puis tu pourras regarder la mer au Touquet aussi bien qu’à Guernesey. Je te signale aussi que le golf est pas mal, il y a deux parcours de dix-huit trous et un de neuf. Le parcours qui donne sur la mer est juste à tomber par terre et…

– Je ne joue pas au golf, je ne joue pas au bridge. Mais Pénélope et moi, on aime bien jouer au Scrabble.

– Ton exil va être mortel.

– Et je me suis mis à la poésie aussi. Ca peut être utile pour les jours difficiles qui nous attendent, ça peut être utile pour la France.

– Tu vas twitter des poèmes depuis Guernesey ?

– Oui, pourquoi pas. (Il déclame.) Heureux l’homme, occupé de l’éternel destin, qui, tel qu’un voyageur qui part de grand matin, se réveille, l’esprit rempli de rêverie, et, dès l’aube du jour, se met à lire et prie !

– François, tu sais que tu m’inquiètes, là ?

Inquiétude justifiée. Fillon se lève soudain pour haranguer la salle, postillonnant jusque sur notre mille-feuille.

À qui donc sommes-nous ? Qui nous a ? Qui nous mène ?
Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine ?
Oh ! parlez, cieux vermeils,
L’âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre ?
Chaque rayon d’en haut est-il un fil de l’ombre
Liant l’homme aux soleils ?

Anne Méaux tente de faire rasseoir le candidat, qui persiste pour le plus grand bonheur de la clientèle américaine.

Songe horrible ! Le bien, le mal, de cette voûte
Pendent-ils sur nos fronts ? Dieu, tire-moi du doute !
O sphinx, dis-moi le mot !
Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,
Noirs vivants ! heureux ceux qui tout à coup s’éveillent
Et meurent en sursaut !

Anne Méaux quitte discrètement le restaurant tandis que le patron propose un calva à Fillon pour le calmer. Les touristes prennent des photos.

Édouard Launet
2017, Année terrible

 

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