Vétéran de l’armée des tsars, le peintre Vassili Verechtchaguine, né en 1842 à Tcherepovets dans le Nord de la Russie européenne, a participé pendant les années 1860 à la brutale et douloureuse conquête coloniale du Turkestan par la Russie. Il avait été invité à se joindre aux troupes impériales en tant que peintre officiel – on dirait aujourd’hui « embedded » – par le gouverneur-général Constantin von Kaufmann qui appréciait son talent et attendait sans doute de lui qu’il glorifiât la marche de ses armées à travers cette région immense, aujourd’hui dénommée Asie Centrale. Cette dernière n’a recouvré son indépendance qu’à la chute de l’URSS en 1991. Elle est aujourd’hui constituée de plusieurs états pluriethniques tels que l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan ou encore le Kirghizistan ; ces deux derniers s’affrontant de façon sporadique depuis cette époque.
Sans lui faire renoncer à célébrer l’héroïsme des soldats, l’expérience intime des combats de Verechtchaguine a néanmoins fait de lui le « chantre » de l’absurdité de la guerre, de la cruauté des hommes comme de la vanité de toute conquête… Il a même fait inscrire sur l’un de ses tableaux les plus célèbres, Apothéose de la Guerre, peint en 1871, et qui représente un atroce amoncellement de crânes, la mention suivante : « Dédié à tous les grands conquérants anciens, actuels et à venir ».
Plusieurs de ses tableaux reçurent un accueil mitigé de la part des autorités impériales qui jugeaient antipatriotique son réalisme cruel. Cela ne l’empêcha pourtant pas de bénéficier d’une reconnaissance internationale de son vivant.
Il reste que malgré cette influence, et malgré le fait que certaines de ses œuvres les plus répulsives soient encore exposées aujourd’hui parmi les plus grands musées moscovites, l’histoire bégaie. La guerre écrase des pays, éventre des villes entières et charrie par dizaines de milliers des victimes au destin brisé. Mais les tyrans ne pénètrent souvent dans les musées que pour inaugurer brièvement les expositions consacrées à leur vaine gloire ; toutes temporaires…
Une ambiguïté demeure toutefois chez Verechtchaguine qui nous interdit de le qualifier d’homme de paix malgré le portrait anti-militariste que sembleraient a priori faire de lui ses nombreux tableaux. Cette ambiguïté, c’est celle de sa fascination pour la guerre, comme sa propension à vouloir la saisir au plus près, à l’embrasser pour mieux s’en inspirer. C’est d’ailleurs à la guerre que Verechtchaguine va trouver la mort, sombrant avec l’équipage d’un navire militaire, le cuirassé Petropavlovsk, détruit par une mine lors du conflit russo-japonais de 1904-1905 ; à la guerre trouve donc la mort celui qui lui aura voué la plus grande et la plus créatrice partie de sa propre vie.
« Devant moi, en tant qu’artiste, il y a une guerre, et je la combats autant que j’ai de la force ; mes coups sont-ils forts ou réels, c’est une autre question, une question de talent, mais je frappe avec toute mon énergie et sans pitié », extrait d’une lettre de Vassili Verechtchaguine au mécène Pavel Tretiakov (cité in « Vassili Verechtchaguine, le peintre russe qui a saisi l’essence de la guerre », Boris Egorov, 29 octobre 2020, Russia Beyond)
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