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Le potes-cast next door, ou quand le podcast met des mots simples sur la sexualité
| 12 Mai 2019

Vaste terrain d’expérimentation, le podcast autour des sexualités vit une jeunesse éclatante dans des formes et des thématiques plurielles. En parallèle des désormais classiques Cabinet de curiosité féminine, Me My Sexe and I d’Axelle Jah Njiké, ou encore le Sexe and Sounds de Maïa Mazaurette, se développe une offre moins analytique, à l’initiative de jeunes femmes de moins de trente ans, dont le propos est de poser des mots sur les pratiques de chacun, et les ressentis. Parmi les objectifs affichés : comprendre et se sentir compris, se débarrasser de la gêne, de la honte, des préjugés. Le tout dans une ambiance apéro intime, un potes-cast next door en somme – je prendrais bien du rouge, et sinon, ta toute première fellation, c’était comment ?

 

Envies bizarres

Réalisé par Céline et Margaux, Entre nos lèvres propose ainsi « des portraits intimes » (Léo, Margaux ou encore Alix), tandis que Sexplorer veut pallier un manque d’informations sur le sexe en « menant l’enquête », selon son auteure, Sophie Ha. S’ils se positionnent différemment, ces deux podcasts ont en commun un canevas simple permettant à des tiers de parler de leurs zones érogènes, leurs techniques de masturbation, leurs premières fois, etc. Avec deux qualités. La première, c’est d’être en mesure de montrer une variété des « faire » et des réactions dans leurs détails. De permettre de se sentir moins seul quand on a des envies bizarres – ben oui, c’est pas tout le monde qui grimpe aux rideaux après une caresse sur les côtes.

Deuzio, on est ici en dehors de l’aspect performatif, moteur essentiel du porno traditionnel. Ces gens qui nous parlent sont de vraies personnes, qui expriment de vrais ressentis ainsi que leurs réflexions. Exit la vie fantasmée, place aux « boîtes de mouchoirs sur les tables de nuit », au pipi post-coït – au réel. Pas loin de l’intention du Doc et Difool dans les années 90 : tendre le micro en liberté, recueillir et partager les moments du quotidien.

Trigger warning très tendance

Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’à partir de questions basiques – et de réponses également basiques, surgissent par instant des voies de traverse : une préférence inédite, une anecdote inattendue, un truc ultra croustillant. Personnellement, je n’aurais jamais imaginé que le toucher des petites lèvres puissent occasionner un orgasme. Que la caresse sur le clitoris puisse être vécue comme « une agression ».

Via Sexplorer, on découvre également que la zone anale, si elle n’est pas encore exploitée à fond (pardon…) chez les hommes, est absente des zones érogènes chez les femmes interrogées. Ce qui laisse entendre que la pratique et la parole ont tendance à se libérer – en tout cas pour les hommes.

Une réserve cependant. Principe même du potes-cast next door, le fait de tout balancer sur la table sans hiérarchie d’informations occasionne d’étranges glissements. Ainsi le récit d’un viol, première expérience sexuelle d’un des témoins d’Entre nos lèvres, aurait mérité un traitement distinct, un changement de ton. Quelque chose qui dise vraiment : Eh, c’est grave là ! Les trigger warning du début, quoi que très tendances en ce moment, ne remplacent en rien une approche avec modération et psychologie essentielle à la discussion et à sa compréhension. Oui, il y a des sujets qui doivent être approchés et traités différemment, et oui, le viol en fait partie.

Reste que découvrir d’autres gestes de la sexualité, partager des interrogations, voire des réponses, des ressentis, être en conscience que l’autre est pareil mais pas pareil, est un bon moyen d’esquisser une représentation de la variété et de s’accepter soi-même. Parce qu’il désacralise la sexualité, le potes-cast next door la rend plus accessible.

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