La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 29 Avr 2019

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Ceux qui sont nés dans les années 80 ont intégré dès le berceau le concept de crise. Ils ont vu le jour dans la crise, ils ont appris très vite que la crise serait leur unique horizon, ils ont été des enfants puis des adultes de la crise. Mais aujourd’hui c’est pire. Maintenant les maternités grouillent d’enfants de la fin du monde. Ces poupons-là viennent de débarquer sur une planète qui court à sa fin, ils sont programmés pour l’autodestruction, la fin du monde est leur unique horizon. Avec un peu de chance, ils deviendront des adultes de la fin du monde. Qu’ils mènent leur vie jusqu’à son terme naturel les surprendrait tout de même beaucoup, et que leurs propres enfants parviennent jusqu’à l’âge du bac les surprendrait plus encore. Quant à la crise, elle est toujours là, d’une ampleur inédite, quoique elle ait désormais moins d’importance : à quelque chose malheur est bon.

Les apocalypse natives sont des individus dangereux — bien plus dangereux que les enfants de la crise, lesquels n’étaient déjà pas très recommandables — car, contrairement à ces derniers, ils n’ont plus rien à perdre. Ils sont passés directement de l’utérus à l’abri antiatomique, et de la naissance à la survie. Si le monde (occidental) leur apparaît vaguement confortable avec ses smartphones et ses voitures intelligentes, sa nourriture bio et ses vidéos virales, ses séries télé et ses caisses automatiques dans les grandes surfaces, ils savent bien que sous ces oripeaux de modernité il n’y a pas la moindre particule d’espoir. Pour eux, la fin du mois est le seul objectif raisonnable. Quant au grand soir…

Les enfants des enfants de la crise n’ont plus que des miettes à ramasser sur un sol pollué, pourtant ils ne sont pas tristes car l’heure est à la schadenfreude : ils éprouvent cette joie maligne à voir le bateau sombrer sous les pieds des autres autant que sous les leurs. Il ne faut pas compter sur eux pour écoper. Après tout, ils ne sont pas responsables du naufrage. Et puis ils savent qu’aucune île salvatrice n’apparaîtra à l’horizon. Avec cette génération, il n’y aura pas de mutinerie, de crise d’adolescence, de révolte, pas même de provocation. Dommage : les enfants de l’apocalypse auraient fait d’excellents punks, si la chose n’était pas passée de mode. D’ailleurs la mode elle-même est quelque chose du passé, d’un passé où elle était message d’espoir.

Place désormais au présentisme. Hier est oublié, demain n’existera pas. Seule compte la seconde présente. Ce n’est pas une mauvaise façon de vivre, si l’on n’est pas rongé par l’angoisse du condamné à mort. Bien vivre au présent n’est pas donné à tout le monde. La génération apocalypse, elle, y excelle. On l’envie. Mais ça lui passera avant que ça nous reprenne.

Il était bon le temps où la fin du monde n’était qu’un chagrin d’amour, ce temps (1966) où le groupe madrilène Los Bravos pouvait écouler six millions de rondelles avec une scie comme Black is Black :

Black is black, I want my baby back
It’s grey, it’s grey, since she went away, oh oh
What can I do, ’cause I, I’m feelin’ blue
If I had my way, she’d be here today
But she’d go in time, and leave me to cry again, oh no
What can I do, ’cause I, I’m feelin’ blue

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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