La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 09 Sep 2018

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

La fin du monde ne ressemblera pas à la fin du monde. Pas de gros nuages noirs annonciateurs d’orage terminal, pas de raz de marée de cauchemar balayant les cités, pas de champignon nucléaire s’élevant au loin comme une mauvaise blague. Vous saurez que la fin du monde approche lorsque vous décrocherez votre téléphone et qu’une voix synthétique vous répondra : si ceci tapez 1, si cela tapez 2, sinon tapez étoile pour revenir au sommaire. Tout indique (en particulier les services d’assistance de ces entreprises connues sous le nom de « fournisseurs d’accès ») que nous en sommes déjà là.

En fait, l’heure du Jugement dernier a commencé à sonner dès le 14 février 1933, date de la mise en service de l’Horloge parlante. C’est une invention française, l’Horloge parlante, et elle est due au regretté Ernest Esclangon, ancien directeur de l’Observatoire de Paris. Ernest Esclangon, né en 1876 dans les Basses-Alpes et mort en 1954 en Dordogne, fait partie de nos génies méconnus. Pendant la Première Guerre mondiale, cet homme avait prouvé son talent en démontrant que la position des pièces d’artillerie ennemies pouvait être déterminée en analysant leur son ; en 1933, il soulageait le standardiste de l’Observatoire en automatisant l’annonce de l’heure. Et c’est ainsi que le monde partait sur de mauvais rails.

On ne sait plus qui du comédien Georges Dorival ou du speaker de radio Marcel Laporte (alias Radiolo) fut la première voix de l’Horloge parlante, mais qu’importe : au troisième top, il était exactement l’heure du début de la fin. En tout cas, d’après Wikipédia qui le tient du Journal d’Elbeuf, c’est Dorival qui a enregistré pour le fameux message téléphonique : « Il n’y a pas d’abonné au numéro que vous demandez ». Aujourd’hui ce sont des voix synthétiques qui préviennent des impasses et de l’imminence du néant éternel avec une précision inégalée. Que nous tapions 1, 2 ou étoile, le résultat est le même : tout le monde mourra, et chacun mourra seul. Et si l’on tape 3 pour être mis en relation avec un conseiller, nous entendons : « Tous nos conseillers sont actuellement en ligne, rappelez ultérieurement ou consultez notre site ».

Sur le site de l’Horloge parlante, en particulier, nous trouvons ces considérations lumineuses : « Sans connaître l’heure, comment saurions-nous qu’il est temps de nous réveiller, d’aller au travail ou à un rendez-vous, ou encore de nous coucher ? L’invention de l’horloge est un événement marquant dans l’histoire de l’humanité. C’est à partir de ce moment que le temps s’est écoulé à un certain rythme, chose que l’homme n’avait pas encore perçu jusque-là ». Sans l’Horloge de la fin du monde (Doomsday Clock en anglais), nous ne saurions pas qu’il est précisément 23h58. Soit deux minutes avant l’apocalypse. La Doomsday Clock a été créée en 1947 par les responsables du Bulletin of the Atomic Scientists de l’université de Chicago pour nous alerter sur la montée des menaces nucléaires, écologiques et technologiques. Elle est remise à l’heure périodiquement. Tant qu’il y a un type à Chicago pour régler les aiguilles, c’est que tout n’a pas pété.

Avant la fin du monde, il y aura eu le début du monde. Grosso modo aux alentours du Big Bang. Jusqu’à la grande explosion originelle, le temps n’existait pas. Après, il n’existera plus. Entre les deux, les horloges auront tourné vainement, Ernest Esclangon sera né et mort, Raphaël Géminiani aura été infoutu de gagner le Tour de France, j’aurai enterré dans mon jardin trois chats dont le dernier s’appelait Chiffon. Il s’agit là d’une très brève histoire de l’humanité, mais elle vaut bien celle de Yuval Noah Harari qui, dans Sapiens, a noirci 512 pages pour dire à peu près la même chose. Nous n’avons plus le temps de lire des bouquins aussi gros. Les aiguilles tournent de plus en plus vite, ma wifi est toujours HS, le numéro d’assistance toujours muet, et Germaine Montero chante La fille de Londres :

Un rat est venu dans ma chambre
Il a rongé la souricière
Il a arrêté la pendule
Et renversé le pot à bière

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

 

Les joyeux bouchers

 

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