La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 14 Oct 2018

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

La fin du monde survient généralement quand le monde ne se voit plus d’avenir. Il semble que nous n’en soyons plus très loin. L’art giratoire — la décoration des ronds-points — s’impose comme le champ le plus créatif des arts plastiques. Mireille Mathieu a reçu le titre de Docteur Honoris Causa de l’Université d’État des sciences humaines de Moscou en récompense de « son talent musical phénoménal ayant eu une influence significative sur la jeunesse ». Un visiteur s’est blessé en tombant dans une installation d’Anish Kapoor, Descent Into Limbo, un trou noir de 2,5 mètres de profondeur exposé au musée Serralves de Porto.

Presque aussi alarmant, deux cents personnalités des arts et spectacles, parmi lesquelles Nana Mouskouri et Alain Delon, ont signé en septembre 2018 une pétition clamant : « Nous vivons un cataclysme planétaire. Réchauffement climatique, diminution drastique des espaces de vie, effondrement de la biodiversité, pollution profonde des sols, de l’eau et de l’air, déforestation rapide : tous les indicateurs sont alarmants. Au rythme actuel, dans quelques décennies il ne restera presque plus rien. Les humains et la plupart des espèces vivantes sont en situation critique. » Il s’agissait pour ces artistes, réagissant à la démission de Nicolas Hulot de son poste de ministre de l’Écologie, d’inciter le gouvernement à mettre les bouchées doubles. Résultat : Hulot a été remplacé par François de Rugy, un homme qui, quelques mois auparavant, affirmait encore qu’Emmanuel Macron n’avait pas la moindre ambition en matière d’écologie.

Seule nouvelle encourageante du moment : la Flat Earth Society, qui regroupe aux États-Unis les gens convaincus que la Terre est plate (leur nombre n’est pas négligeable), vient de se dire préoccupée par le réchauffement planétaire. La fin du monde va donc se produire mais sur une Terre plate, ce qui amène à penser que sur une Terre ronde, nous sommes susceptibles d’y échapper. Le raisonnement peut sembler absurde mais à bien y réfléchir, il ne l’est pas tant que ça. Un nombre significatif de physiciens, supérieur en tout cas à celui des membres de la Flat Earth Society, croient en effet en l’existence de mondes multiples. C’est la célèbre théorie d’Everett, selon laquelle tout ce qui aurait pu avoir lieu dans le passé a bien eu lieu dans un autre univers, et tout ce qui peut avoir lieu dans le futur aura bien lieu dans des univers parallèles. Passons sur les bases touffues de cette théorie, issues de la physique quantique, pour sauter à la conclusion : si notre monde court à sa perte, il en existe forcément beaucoup d’autres dans lesquels la catastrophe n’aura pas lieu. Dès lors, la question est : comment changer de monde, à défaut de changer le monde ?

Deux voies s’offrent à nous. La première est de monter une monstrueuse expérience de physique quantique qui nous ferait passer ex abrupto dans un univers parallèle. Malheureusement, en l’état de nos connaissances, cette évasion semble hors de portée à court terme, du moins avant l’apocalypse. La seconde voie est de remonter le temps jusqu’à un point où la bifurcation vers un monde soutenable est encore possible. Par commodité, nous situerons ce point en 1972, année de la publication du rapport Meadows. Cette étude du MIT, titrée The Limits To Growth, fut la première à alerter sur l’impasse dans laquelle s’engageait un monde à la croissance sans limites.

En 1972, Nicolas Hulot n’était pas encore un homme politique, ni même un homme de médias : il était plagiste et moniteur de voile. Donc imaginons ceci : le 13 août 1972 Hulot prend sur la tête un violent coup de bôme ou de parasol, à la suite duquel il voit arriver une fin du monde grosse comme une maison. Il se met à alerter toute la plage. Les estivants vont immédiatement signaler à la gendarmerie un individu au comportement inquiétant. Les flics embarquent Hulot. Après un court séjour derrière les barreaux, ce dernier est confié à un service de psychiatrie. Ici se situe le point de bifurcation. Possibilité un : Hulot est relâché avec une bonne provision de pilules, il fait son chemin jusqu’à devenir un ministre impuissant de l’Écologie, puis De Rugy le remplace. C’est le scénario noir. Possibilité deux : Hulot est interné plusieurs années. Il parvient à convaincre ses camarades de l’asile qu’il est Jésus. Nous sommes sauvés ! Enfin, dès que la machine à remonter le temps sera prête …

En attendant, il nous faut chanter avec le groupe Téléphone :

Je rêvais d’un autre monde
Où la Terre serait ronde
Où la Lune serait blonde
Et la vie serait féconde

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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